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22 janvier 2013

Algérie : les Japonais victimes de leur doctrine militaire ?

Sur son très bon blog, L'Hérétique a publié une note concernant la prise d'otage en Algérie et, relevant le taux élevé de victimes nippones, l'a jugé à l'aune de la politique militaire du Japon.

Faisant référence à notre blog du Modem Japon et appelant à des commentaires, je me permets cette réponse.

Si sur le fond je suis d'accord avec l'analyse, je mettrai cependant un petit bémol à sa conclusion : pour l'instant rien ne démontre que les Japonais aient été visés spécifiquement. Je ne pense donc pas que la politique japonaise soit mortellement dangereuse pour ses ressortissants. Au contraire, l'attitude japonaise dans de tels cas est de négocier et payer, comme l'a trahie l'attitude de Shinzo Abe qui a condamné l'intervention algérienne avant de se rétracter.

Évidemment le revers de la médaille d'une telle politique est un véritable « appel» à enlever des ressortissants japonais.

Donc quand il est écrit « La peau d'un Japonais ne vaut rien ou presque pour un djihadiste », politiquement je suis d'accord, financièrement beaucoup moins : or on sait que le business du kidnapping est une des sources de financement de ces groupes.

J'ai aussi trouvé très juste le terme « d'émasculation ». Ceci dit je ne l'appliquerai pas spécifiquement à l'armée japonaise qui, contrairement à une idée reçue à laquelle il faut tordre le cou, est l'une des meilleures au monde.

Avec 1% de son PIB alloué aux forces d'autodéfense (Jieidai) le Japon a le 6ème budget militaire de la planète. Sans compter que ne sont pas compris dans ce chiffre l'une des composantes majeures de sa « force militaire », mais essentielle pour une île, à savoir les gardes côtes rattachés à la sécurité intérieur, et que ne sont pas non plus comptabilisées les pensions de retraite, ni le budget de prise en charge des « GI's » stationnés dans l'archipel... Bref, l''ensemble ferait porter l'effort militaire réel du Japon à 1,5% de son PIB, ce qui au regard de la puissance économique le place devant de nombreux pays européens.

Certes, dotée de matériels excessivement modernes l'armée japonaise a souffert jusqu'à présent d'un manque de moyens de projection ou offensifs pour des raisons constitutionnelles, et surtout souffre d'un manque cruel d'expérience du terrain. Ce qui est certes très important mais est tout de même le cas de l'immense majorité des armées sur la planète !

Il faudrait donc plutôt parler pour le Japon de « puissance émasculée » : puissance dans son acceptation globale.

A la fin des années 80, alors à son firmament économique, quand le Japon menaçait de s'offrir le monde, le pays montrait ainsi déjà ses limites : quels sont en effet ses éléments de puissance en dehors de l'économie ?

Militairement, sa puissance est, on l'a dit, limitée dans son déploiement par l'article 9 de sa constitution.

Mais plus important à mon sens, au niveau du soft power, le Japon n'a aucun atout : aucune doctrine, une population et une culture limitée à son territoire, une langue qui ne leur permet de parler avec personne d'autres dans le monde, bref rien qui tende à l'universalisme...

Donc diplomatiquement, si le Japon est le second contributeur des organismes internationaux et obtient toujours la direction d'une grande agence, il ne peut être perçu comme une puissance et sa voix compte pour « peanuts ».

Je vois aussi plusieurs autres explications à cela : à l'ONU, seuls les 5 du Conseil de Sécurité comptent réellement, mais surtout la diplomatie est un art qui demande moyens, compétences et expérience.

Or en la matière le Japon est un béotien : et cela pour des raisons autant géographiques qu' historiques.

Géographiques car, insulaire et excentré le Japon n'a jamais entretenu pendant plus de deux millénaires des relations qu'avec la péninsule coréenne et la façade orientale de la Chine, qui ont d'ailleurs souvent été fermées. « Fermeture » que, il ne faut pas l'oublier le Japon s'est appliqué à lui même pendant plus de 250 ans entre 1600 et 1850. Or, avant, le nombre d'opérations extérieures menées par le pays en 2500 ans ne dépassa pas 2. On est donc en face d'un pays qui a une histoire diplomatique et militaire extérieure très faible et nouvelle... ne lui laissant aucun héritage sur lequel capitalisé comme la France ou la Grande-Bretagne.

L'objectif de puissance, tel que le Japon l'a connu entre la fin du XIXème siècle et le milieu du XXème est une parenthèse, une exception dans l'histoire du pays. Que la société a payé d'un lourd tribut humain.

Et on en vient là au point peut-être le plus important : tous les peuples ne sont pas réceptifs à un discours de puissance. Si en France il y a une quasi unanimité derrière l'armée ou des discours sur la « grandeur de la France », il n'en est pas de même au Japon.

Or, la formule « Fukoku kyohei »  (Une économie prospère, une armée forte) a servi une fois et je ne crois pas que les Japonais veuillent retenter l'expérience de la puissance.

Et ce n'est peut-être pas plus mal vu que l'opposition à l'autorité n'est pas un trait culturel nippon marquant...

Mais la très bonne intégration du pays dans la mondialisation et ses résultats économiques obligent.

Obligent à défendre et renforcer le système en place.

Obligent à prendre ses responsabilités sans y avoir été forcément préparé.

Alors comme une autre puissance économique, l'Allemagne, le Japon est confronté à un dilemme qu'il leur faudra pourtant résoudre : comment continuer à bénéficier pleinement de la mondialisation et favoriser l'expansion d'un ordre mondial en espérant de façon illusoire ne pas participer directement à sa police ?

Alexandre Joly.