25 mai 2008
Liban : leçon de diplomatie à Doha
Ce dimanche, le coeur de Beyrouth va retrouver son calme politique , sa ferveur commerciale et le Liban élire un nouveau président. Après plus de 18 mois d'un bras de fer politique dont les violences meurtrières de la semaine dernière furent l'aboutissement, l'opposition et la coalition au pouvoir, sous la houlette de parrains régionaux, sont parvenus à un accord qui permet de sortir le pays de l'impasse politique dans laquelle il était plongé.
Il n'est pas question ici de faire une analyse des conséquences libano-libanaises de cet heureux dénouement , mais de s'interroger quant au fond et la forme de l'engagement ainsi que sur les résultats obtenus par chacune des puissances agissant au pays du Cédre. Et tout particulièrement les Etats-Unis et la France.
Car si, à Paris, le Président Sarkozy s'est dit "particulièrement heureux de l'accord intervenu (...) à Doha entre les représentants des principales forces politiques libanaises, conclu sous l'égide du Qatar et de la ligue arabe" faisant écho aux propos de Condolezza Rice, le résultat est en fait un terrible échec de la politique américano-française et un désaveu criant de leur méthode.
Echec, voir défaite, car le grand vainqueur de la crise est incontestablement l'opposition et plus spécialement le Hezbollah. Non seulement le parti est parvenu à faire annuler les 2 dispositions du gouvernement qui sont à l'origine des violences (limogeage du chef de la Sécurité de l'aéroport de Beyrouth, gel du développement des réseaux de téléphonie interne au parti) mais il est aussi parvenu à imposer ses vues quand au règlement de la crise que vit le pays depuis Novembre 2006 : le cabinet Siniora va tomber, l'opposition va intégrer le nouveau gouvernement avec une minorité de blocage et un candidat de consensus va être élu président.
C'est donc un revers patent pour les Etats-Unis et la France qui n'ont eu de cesse de clamer leur soutien inconditionnel à la majorité au pouvoir et de dénoncer le Hezbollah et l'opposition comme forces anticonstitutionnelles et au service de puissances étrangères qu'il faudrait affaiblir et écarter de la vie politique libanaise.
Mais cet échec vient aussi sanctionner un réalité : l'affaiblissement de la France au Liban.
La France, qui a toujours eu un rôle majeur au Liban, ou tout au moins était un interlocuteur particulier pour les différentes parties, a perdu son statut depuis plus de deux ans quand elle a choisi de s'aligner sur les positions américaines et saoudiennes concernant le Proche-Orient. A l'initiative de Jacques Chirac, la France s'était débarrassée de ses habits de conciliateur et de modérateur pour celui de partie prenante et partiale. Suivant l'administration Bush, elle a soutenu vaille que vaille le cabinet Siniora et la majorité rassemblée autour du Courant du Futur de la famille Hariri. Nicolas Sarkozy, une fois parvenu au pouvoir a poursuivi cette politique qui avait l'avantage d'être en parfaite harmonie avec sa position atlantiste et sa volonté de se rapprocher encore un peu plus des Etats-Unis..
Cet alignement sur les vues américaines s'est aussi doublée de la mise en application des méthodes U.S, à savoir le refus de tout contact avec des membres de l'un des 2 camps. Contrairement à la diplomatie qatari qui a fait la navette entre toutes les parties. C'est par cette volonté d'ignorer ses « ennemis » qu'il faut expliquer l'échec des missions de Bernard Kouchner, qui pendant plus de 6 mois a tenté vainement de réconcilier les différentes factions libanaises et qui s'est vu, selon le journal libanais L'Orient-Le Jour du 24 mai, être pendant cette période « roulé dans la farine par les Libanais, ou du moins par une partie d'entre eux ».
Car l'exercice était bien évidemment voué à l'échec. En effet, comment prétendre vouloir trouver un accord juste et équitable, et comment passer pour un interlocuteur honnête quand on se range si clairement dans un camp ? Enfin, comment pouvait-on espérer parvenir à un accord en s'abstenant de rencontrer le Hezbollah, ou en ignorant la Syrie et l'Iran ?
Les relations avec ces deux pays, et notamment la Syrie, parlons-en justement. Grand écart, pour ne pas dire incapacité à choisir une ligne claire entre l'alignement sur la position frontale américaine et la nécessaire prise en compte de la réalité du terrain, plus conforme à la tradition diplomatique française, les décisions du «président Nicolas Sarkozy de renouer les contacts « de haut niveau » avec la Syrie, avant de les suspendre de nouveau à la fin de l’année, prise sans coordination avec le ministre des Affaires étrangères, a provoqué « un dysfonctionnement de la diplomatie française », selon Antoine Basbous que cite le journal libanais.
Dysfonctionnement basé sur une ineptie, pour ne pas dire une « abracadabrantesque » conception de la diplomatie : le refus d'avoir des contacts avec ses « ennemis ». Suivant ainsi l'idée répendue chez les conservateurs (plus ou moins « néo ») ou les « faucons » des pays occidentaux, selon laquelle une démocratie doit choisir ses interlocuteurs, Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy ont refusé d'avoir des contacts directs avec des partis politiques tel que le Hamas ou le Hezbollah, quand ce ne sont pas avec des pays, comme la Syrie.
Cette conception moralisatrice est soit le fruit d'une hypocrite et criminelle conception des relations internationales, pour laquelle les conflits ne peuvent se régler que sur le champ de bataille, avec anéantissement de l'un des protagonistes, soit le fruit d'une irresponsable naïveté et d'une grande méconnaissance de la chose diplomatique. Car qu'est-ce que la diplomatie, sinon la rencontre de puissances différentes, opposées et parfois ennemies qui cherchent à régler un conflit autrement que par la destruction de l'une des parties ?
Hubert Védrine a parfaitement résumé cela lors d'un « chat » avec des lecteurs du journal Le Monde le 20 mai en rappelant « que la diplomatie a été inventée à l'aube de l'histoire pour traiter les problèmes autrement que par la guerre. La diplomatie ne consiste pas à se réunir avec des amis dont on partage les valeurs et à se congratuler, la diplomatie peut consister à parler avec des dirigeants ou des régimes qu'on estime horribles et dont on rejette catégoriquement toutes les valeurs, et il en a toujours été ainsi. »
Avec la fumeuse « guerre au terrorisme », la diabolisation de ses adversaires/opposants a pour objectif de réduire au maximum la grille de lecture des problèmes internationaux, pour la résumer à un affrontement binaire du bien contre le mal, notre camp contre le leur, et dans lequel seule la mise à mort de son adversaire peut résoudre le problème. Ce paradigme n'a malheureusement pour conséquence que la perpétuation des conflits et le développement d'états de guerre plus ou moins chaud.
Aux Etats-Unis, le sénateur et candidat Barrack Obama a clairement opté pour l'abandon de cette ligne et pour l'adoption d'une politique réaliste. Espérons que s'il est élu, par suivisme, la politique extérieure de Nicolas Sarkozy s'en verra elle même changée. Et l'image de la France de redorer dans un Liban en paix.
Alexandre Joly
12:01 Publié dans Actu internationale | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france, politique etrangere, liban
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