03 mars 2011
Sarkozy et le monde arabe : le paradigme du «Commandant Sylvestre »
Alors que comme il l'a si bien dit lui même durant son allocution de dimanche « de l'autre côté de la Méditerranée, se produit un immense bouleversement », j'attendais de Nicolas Sarkozy , comme beaucoup de Français certainement, une explication, une vision de ce que sera dans les mois, les années à venir la nouvelle politique arabe de la France.
Mais celui-ci a beau avouer à l'entame du cinquième paragraphe que son « devoir de Président de la République est d'expliquer les enjeux de l'avenir », force est de constater qu'après 6 minutes d'allocution nulle explication, nulle vision n'a émergé de ce discours géopolitique à minima.
Faut-il vraiment en être surpris ?
Nicolas Sarkozy ne voit les affaires extérieures de la France que sous le prisme de la politique intérieure et de sa plus value médiatique sur la scène nationale. Ainsi, la semaine dernière, lors de sa rencontre Face aux Français , l'immense bouleversement dont il parle n'a pas occupé plus de 20 secondes sur les 2 heures 30 de discussions. Et dimanche, comme tous les commentateurs l'ont justement signalé, son allocution n'a eu pour objectif que de régler un problème intérieur et non de prendre une quelconque initiative diplomatique. Donc 2 minutes d'explication... Et basta la politique étrangère !
Mais les non-dits, ou les « peu » dits sont parfois plus éloquents que de longs discours. Et dimanche soir nous en avons beaucoup appris sur la vision très particulière qu'a Nicolas Sarkozy du monde arabe . Vision qu'on pourrait qualifier par un adjectif : simpliste. Je ne m'étendrai pas sur la négation des différences sociétales, culturelles, linguistiques, culturelles ou encore ethniques qui coexistent aux Maghreb et Machreck, alors que c'est une vision malheureusement uniforme qui transparait dans ce discours digne du « commandant Sylvestre » des Guignols de l'Info pour qui de Tanger à Téhéran il n'y a que « Barbus » ou « Bougnouls » ! Nicolas Sarkozy nous en avait déjà fait une démonstration au micro de BOURDIN and Co pendant la campagne de 2007.
De même, d'un point de vue historique, si on écoute le président, l'histoire contemporaine du monde arabe se résume à la décolonisation et aux régimes (mauvais) qui leur ont succédé. Régimes qui pour les peuples arabes, après "avoir été, au temps de la décolonisation, les instruments de leur émancipation avaient fini par devenir ceux de leur servitude".
Certes Moubarak et Ben Ali ne sont plus tout jeune mais de là à faire de leurs régimes les maîtres d'œuvre de l'indépendance de leur pays est un raccourci navrant de l'histoire récente. C'est en effet faire l'impasse sur 50 ans d'histoire contemporaine pour la Tunisie et 70 ans pour l'Égypte qui ont vu s'affronter idéologies endogènes (nationalisme versus panarabisme...) et des puissances exogènes (affrontement USA/URSS durant la Guerre Froide...) qui expliquent bien mieux la nature des régimes en place et les difficultés qu'ils peuvent rencontrer. Cette vision gomme aussi les évolutions sociétales (alphabétisation et éducation, urbanisation, évolution démographique...) qui sont les réelles causes des événements dont nous sommes les témoins. Et que des orientalistes comme O. Roy ou des démographes comme E. Todd avaient prévues.
Plus grave est son analyse de la nature des relations que la France a entretenues avec ces régimes. Pour lui celle-ci se résume à un objectif purement sécuritaire, "malgré leur caractère autoritaire parce qu'ils apparaissaient aux yeux de tous comme des remparts contre l'extrémisme religieux, le fondamentalisme et le terrorisme."
C'est une vision parcellaire (voir insultante dans son manque d'ambition pour ses prédécesseurs de la V ème République). La politique arabe de la France n'a pas été basée pendant 50 ans sur la lutte contre le terrorisme, mais entre autre sur l'acquisition de ressources énergétiques et la sécurisation de leur transport ainsi que la pérennisation de marchés pour nos exportations (notamment d'armement). Et surtout dans le maintien d'une zone d'influence (surtout au Maghreb) qui quoique capricieuse, a toujours été reconnu comme telle par les autres puissances.
La lutte contre le terrorisme est une antienne récente. Les régimes autoritaires de Nasser à Kadhafi n'ont pas pris le pouvoir pour lutter contre l'extrémisme, c'est même au contraire leur existence qui a alimenté le fondamentalisme.
Je ne peux enfin m'empêcher de m'interroger sur la pertinence de la phrase suivante : « l'Europe doit se doter sans tarder de nouveaux outils pour promouvoir l'éducation et la formation de la jeunesse de ces pays du Sud de la Méditerranée ».
C'est fort sympathique, mais au delà du doute lié à la politique migratoire sarkozyenne qui en est l'antithèse, quelle dramatique et funeste erreur d'interprétation : en Tunisie c'est parce qu'ils sont diplômés, voir sur-diplômés, mais ne trouvent pas de travail que ces jeunes se sont révoltés !
C'est parce que, comme sa sœur, il était diplômé et chômeur que Mohamed Bouazizi s'est immolé.
Pas pour étudier.
Alexandre Joly.
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