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01 mai 2007

SARKOZY, MAI 68 ET LES NEO-CONSERVATEURS

Lors de son show à Bercy, dimanche 29 avril, N. Sarkozy a pendant près de 20 minutes fait de nouveau le procès de Mai 1968 :  « Mai 68 nous avait imposé le relativisme intellectuel et moral. Les héritiers de mai 68 avaient imposé l’idée que tout se valait, qu’il n’y avait aucune différence entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid. ». Il inscrit ainsi son discours dans la droite ligne des thèses des néo-conservateurs américains, et de celui qui est leur maître à penser, le philosophe allemand Leo Strauss pour qui l'Occident décline, et ce déclin serait à chercher dans un abandon de ses valeurs morales.

Ce n'est pas chez N. Sarkozy une nouveauté, c'est même une récurrence lorsqu'il s'adresse à des jeunes. On se souvient ainsi de son meeting le 18 mars 2007 au Zénith de Paris intitulé Grand Meeting des Jeunes lors duquel il affirma que : « Le drame de la jeunesse française depuis quarante ans, le vôtre par conséquent mais aussi celui de vos aînés et celui de ma génération, c’est qu’au lieu de lui apprendre à aimer on le lui a désappris. Entre la glorification de l’instinct et la montée de l’utilitarisme, on a étouffé cette alliance du sentiment et de la raison qui était l’essence même de la civilisation et de la culture. ».

Il présentait donc déjà Mai 1968 comme l'origine de tous nos maux actuels car :  « Depuis des décennies nous n’apprenons pas à aimer nous apprenons à détester. La mode est à la détestation de soi, à la détestation de la famille, de la nation, de la société, de la culture, de la civilisation, à la détestation de l’Occident, de la religion, de la morale, de l’intelligence, à la détestation du devoir, du travail, de l’excellence, de la réussite … ». Il est fort dommage qu'en mars personne, faute de débat, ne lui posa la question de savoir sur quels analyses il s'appuyait pour émettre un tel constat et faire de telles déclarations. Car si les auteurs de la dénonciation de l'auto-dénigrement sont facilement identifiables, j'attends qu'on nous présente les hérauts de l'auto-dénigrement. Qu'on nous dise enfin, qui en France ferait l'apologie du déclin, de la repentance... Quelle école de pensée ? Quels intellectuels ? Quels livres ? Pour quelle audience ?

Pour en revenir à Mai 1968, prétendre qu'un événement qui a eu lieu il y a plus de 40 ans, dont les retombées politiques furent assez faibles (rappelons qu'aux Législatives de juin 1968 l'UDR du président a obtenu plus de 60% des voix) serait à l'origine d'un soit disant déclin moral et le coeur de notre crise actuelle tient plus de l'imposture intellectuelle et du charlatanisme historique que de la reflexion politique.

Mais dans sa quête pertpétuelle du bouc émissaire, N.Sarkozy a besoin de cibles pour galvaniser ses troupes. Or, dans une phase de second tour où il faut rassembler, trouver une tête de Turc qui ne vote pas, c'est un exercice assez difficile. Ainsi la critique d'un événement historique que notre société de communication a largement emplifié, sur lequel nombres de critiques ont déjà été formulées et auquel on peut identifier son adversaire est une stratégie sommes toutes logique même si intellectuellement nulle.

On ne fera pas ici une analyse de Mai 68 et de ses conséquences car c'est un exercice périlleux d'histoire contemporaine qui demande une connaissance approfondie des évolutions de la société française dans la seconde partie du XXème siècle. Connaissances que N. Sarkozy n'a sans nulle doute absolument pas. Car Mai 68 s'inscrit dans un processus long de mutation de la société française et du monde en général et n'est en soit qu'un épiphénomène. En faire ainsi la cause des violences dans les banlieues, du chômage ou de la faible productivité en France est complètement absurde.

Mais on peut en revanche replacer le discours de N. Sarkozy dans une lignée idéologique: celles d'universitaires américains comme Léo Strauss donc, mais aussi son élève Allan Bloom (auteur en 1987 de L'Ame désarmée) ou aussi Saul Bellow (auteur lui en 2002 de Ravelstein). En matière de politique étrangère on peut leur rattacher S. Huttington et son Choc des civilisations.

Ceux-ci discourent contre le relativisme culturel et moral depuis les annèes 60. Ce relativisme culturel qui aurait abouti au politiquement correcte et dont les hommes qui le combattent sont la branche « intellectuelle » du néo-conservatisme américain, et dont messieurs P.Wolfowitz, J. Ashcroft ou R. Pearl sont les tenant politiques. Ils dénoncent l'abandon des valeurs qui selon eux forgèrent les cultures occidentales : le travail, a famille, la nation (j'ai failli dire patrie)...

Jean-François Revel, auteur de Ni Marx ni Jésus, publié en 1970, et qui a entre autre analysé toute sa vie les évolutions de la pensée américaine relevait dans les écrits de A. Bloom une dénonciation « du mépris de la société occidentale par elle-même » et qui est d'une « extrême sévérité pour la culture occidentale, se refusant à la reconnaître supérieure en aucun point. ».

En France, chez les intellectuels, P. Bruckner en 1983 dans Les sanglots de l'homme blanc reprenait ses thèses, puis R. Redeker ou Glucksmann. Mais ce n'est que récemment que celles-ci apparurent dans le discours politique dans les propos de N. Sarkozy avec une formidable similitude.

Le discours, excessivement violent et agressif de N. Sarkozy de dimanche soir à Bercy, durant lequel il a accusé la Gauche française d'être la complice des criminels,  « cette gauche qui trouve toujours des excuses aux voyous », cette Gauche héritiaire de 1968 qui aurait « cherché à faire croire que la victime comptait moins que le délinquant. » n'est pas sans rappeler les propos d'A. Bloom qui pestait contre « la culture de la drogue, culture rock, culture des gangs de la rue et ainsi de suite sans la moindre descrimination. ».

Quand Eric Besson, avant de le rallier, dénonçait en N. Sarkozy, un « bushiste, néo-conservateur à passeport français » il avait raison sur les trois points.
N. Sarkozy est bien français.
Comme on vient de le voir, ses valeurs puisent en grande partie dans la dialectique néo-conservatrice américaine.
Il a enfin pris de Bush la démarche, le style et surtout la stratégie de campagne : il a su comme lui allier le néo-conservatisme américain à une frange traditionnaliste religieuse.

Il y a 8 ans les Français raillaient les Etats-Unis, leur conservatisme, et ce président falloche qui allait les représenter.
Il aura fallu attendre 6 ans, et la victoire du Parti Démocrate dans les 2 chambres pour que les Américains retrouvent la raison et mettent fin à ce mirage d'incompètence dangereuse.

Aura-t-il fallu 7 ans aux Français pour perdre leur raison et se convertir ?

Alexandre Joly.