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01 juillet 2007

Ingérences historiques II

Cette ingérence historique que se permet le Sénat américain est, moralement scandaleuse et condamnable ; politiquement contre-productive et dangereuse. S'il n'est pas ici question de remettre en cause la réalité de la prostitution forcée de milliers de femme en Asie, et s'il n'est pas question non plus d'accorder le moindre crédit aux négationnistes nippons, on peut remettre en cause cette attitude moralisatrice des Etats-Unis qui vise à dicter aux autres pays (qui plus est ici, un de leurs plus fidèles alliés !) comment lire leur histoire.

Moralement scandaleuse elle l'est car les parlementaires américains, pas plus que leurs homologues français ou autres, n'ont à s'ériger en procureur de l'Histoire. Nous n'aurons de cesse à répéter ici que les parlements et les tribunaux ne sont nullement des endroits où doit se pratiquer la recherche ou l'enseignement de l'Histoire. Le Japon, comme les Etats-Unis ou la Corée du Sud sont des démocraties avec des systèmes universitaires de grandes qualités et aux chercheurs de renommées internationales. C'est à eux de faire avancer la connaissance et non à quelques députés en quête de renommée facile.

Facteur aggravant, cette résolution fait fis des différents courants de pensée dans l'opinion japonaise, la rendant monolithique et laissant croire que tous les Japonais adoptent cette position négationniste . Ce qui est évidemment une tromperie.

Condamnable elle l'est quand on analyse non seulement l'intitulé de la résolution mais aussi quand on voit quelles sont les sources sur lesquelles se sont appuyés les parlementaires et quelle a été la méthodologie de leur recherche. Dire que le travail de recherche a été très faible et parfaitement partial n'est qu'un doux euphémisme. Mais ce reproche on peut et doit aussi le faire à toutes les commissions parlementaires qui cherchent à faire de l'histoire et notamment celles qui sont en France à l'origine des lois dites mémorielles sur l'esclavage ou sur le « génocide » arménien. Les parlementaires ne sont pour la plupart pas des historiens, ils n'en ont ni la formation ni les compétences, et on ne le devient pas tout aussi facilement qu'on ne s'improvise médecin. Ce qui produit généralement des préambules historiques navrants à ces résolutions.

Quand ce n'est pas le contenu de la résolution qui l'est. Ainsi, en demandant au Japon de « reconnaître le rôle de son armée dans l'enrolement forcé » de milliers de femmes, cette commission a fait preuve d'un aveuglement et d'une méconnaissance terrible de l'attitude des différents gouvernements japonais depuis 1993 et la fameuse déclaration de Yohei Kono. Comme le soulignait l'Asahi Shinbun, tout ce que demande cette commission a déjà été fait : Tous les premiers ministres japonais dont Shinzo Abe ont fait de la déclaration Kono la position officielle du gouvernement japonais.

En réclamant au gouvernement japonais de s'excuser, la commission parlementaire américaine omet aussi les lettres d'excuses que chaque premier ministre depuis 1993 a écrit et envoyer aux différentes victimes féminines qui servirent de « femmes de réconfort ». Lettres qui reconnaissent les faits et demandent pardon pour les atrocités subies. On peut aussi s'interroger pour savoir pourquoi la commission a en sus oublié de parler du fond d'indemnisation qui a été mis en place par le gouvernement japonais ? Fond qui a permis d'allouer des indemnités aux victimes. En conclusion, cette commission n'a pas fait un travail d'Histoire, elle a instruit à charge.

Et comme tout procès historique, les travaux sur lesquels se sont appuyés la commission sont plus que critiquables. Ils ont cherché à frapper les esprits plutôt qu'à reproduire une réalité. Durant les auditions de cette commission un parlementaire a fièrement présenté au public un ouvrage sur lequel il s'était appuyé. (Je n'ose pas croire que ce soit le seul qu'il ait lu !) Cet ouvrage, The Rape of Nanking , écrit par une journaliste chinoise est un condensé des atrocités commises par l'armée impériale lors de la prise de la ville de Nankin. Et s'il n'est encore une fois pas une seule seconde question de remettre en cause les crimes commis par l'armée japonaise, cet ouvrage est historiquement très critiquable et truffé d'erreurs et approximations. Il n'est en aucun cas considéré comme un travail historique crédible. Ce qui est ennuyeux pour une commission qui prétend dicter l'Histoire.

Mais au-delà de l'aspect moral, cette déclaration aura certainement un impact contre-productif. Car comme tous les pays qui reçoivent un diktat US la société nippone adoptera une position sinon contraire, en tout cas fera le dos rond. Non par idéalisme ou négationnisme historique mais par fierté nationale et soucis de défendre son indépendance et sa liberté de pensée contre une attitude arrogante et déplacée.

Mais surtout cette résolution est dangereuse car une fois de plus les Etats-Unis installent dans le « Grand Jeu » fragile des relations internationales un nouveau principe perturbateur : Le droit d'ingérence historique. Après le droit à la guerre préventive, le droit d'ingérence humanitaire, ce droit à l'ingérence historique va légitimer les revendications et demandes de repentance des nationalistes et extrémistes de tous poils qui chercheront dans l'Histoire tout contentieux permettant de demander excuses et réparations à leurs voisins. Avec les risques de crises et de violences qui en découlent.

Si cette résolution est emprunte de bons sentiments, elle est le symbole d'un messianisme morale en matière diplomatique qui est aujourd'hui la marque de fabrique de la politique étrangère des Etats-Unis, et cela quelque soit le parti au pouvoir. Il est aussi et surtout un magnifique et hypocrite cache-sexe, pour d'autres politiques moins vendables aux opinions publics.

Cette résolution est en fin de compte la parfaite illustration de deux vices ou dérives dans la façon d'aborder la politique étrangère dans nos démocraties occidentales.

La première d'entre elle a été définie par Samuel Huttington en 1996 dans son ouvrage  Le choc des Civilisations . Celui-ci voyait comme l'un des trois moteurs de ce choc, après l'intolérance d'un monde Islamique et le nationalisme chinois, l'arrogance de l'Occident. Cette arrogance qui vise à imposer aux autres cultures ou civilisations un processus de pensée, un mode de vie et de gouvernance de type euro-américain qui ne prendrait pas en compte leurs différences et surtout apparaitrait à ces populations comme un incroyable manque de respect. Aujourd'hui, comme au dix-neuvième siècle, nous pensons pouvoir amener notre lumière sur le reste du monde. Sans nous rendre compte que les rapports de force ne sont plus les mêmes.

Cet aveuglement des rapports de force et des réalités est la deuxième dérive des politiques étrangères en cours en Occident depuis 15 ans. Elle a été magnifiquement illustré dans l'expression d'  « Irrealpolitik » par Hubert Védrine dans son ouvrage Continuer l'Histoire. Où comment la croyance que nos sociétés sont meilleures et nos valeurs supérieurs nous ont fait nier les réalités du monde pour nous penser nouveaux messies de la liberté et de la démocratie.

Arrogance et aveuglement, voici quelles sont les motivations de cette résolution, et pourquoi elle est condamnable. Arrogance et aveuglement qui sont pourtant aussi les raisons de l'échec en Irak.

Alexandre Joly.