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02 mars 2009

Grave crise aux Antilles françaises :La France d’Outre-Mer en question ?

Taux de chômage record, coût de la vie qui crèvent les plafonds raisonnablement supportables, salaires de misère... Les départements d'outre-mer de la France vivent en ce début d’année 2009 une période difficile, et pas seulement du fait de la crise. Après la Guyane et la Guadeloupe, c'est au tour de la Martinique de s'embraser. L’île de la Réunion s’émeut également. Que se passe-t-il donc dans ces territoires très éloignés de Paris, chez ces « Français du bout du monde » ? L’histoire et ses erreurs humaines folles et fatales est-elle en train de revenir sous les feux de l’actualité ?

Un vent de révolte souffle sur les DOM. Là-bas, la crise ne fait qu'aggraver des conditions de vie dé-jà très difficiles, beaucoup plus difficiles qu'on ne l'imagine en regardant les paysages des cartes postales. Pour les uns, il y a d'alléchants dispositifs d'exonération fiscale ou des fortunes provenant de l’ère coloniale. Pour les autres, il y a la misère, la débrouille et la solidarité.
Nous présenterons dans un premier temps cette situation à la fois catastrophique et explosive. Nous essayerons d’en analyser les causes, puis nous remonterons l’histoire et verrons ce qu’étaient à l’origine ces territoires, en apparence paradisiaques et objets de toutes les convoitises.

Situation économique et sociale catastrophique

Si les chiffres du chômage en France sont en ce début 2009 en nette progression (8% chez les hommes, 9% chez les femmes en moyenne), ceux de l'outre-mer laissent sans voix. La Guyane compte plus de 20% de chômeurs. En Martinique, ce taux est de 21,2% ; en Guadeloupe, il atteint 22,7%, et à la Réunion il grimpe à 24%. Pour les jeunes, c'est pire. Près de 40% de chômeurs chez les moins de 30 ans en Guadeloupe, les chif-fres étant à peu près identiques pour la Guyane et la Martinique. Et si à la Réunion le taux de chôma-ge des moins de 25 ans, qui s'établit à 49%, est en baisse, c'est parce que, selon l'Insee, les jeunes ont quitté l'île fa-ce à cette situation catastrophique et ne sont donc plus comptabilisés comme chômeurs.
Quant aux Pays d'outre-mer (POM), la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, on trouve peu de chiffres offi-ciels. La raison en est simple: le chômage n'est pas indemnisé. Pas d'Assedic, ni même de RMI (Revenu Mini-mum d’Insertion).

Un coût de la vie exorbitant

Circonstance aggravante, dans ces territoires, le coût de la vie est exorbitant. En Polynésie française, par exemple, le prix des logements est comparable, voire supérieur, aux loyers parisiens: 1000 euros pour un studio à l'entrée de Papeete, près de 1200 euros pour un trois-pièces à 10 km de la capitale, etc. Tout ce qui est nécessaire à la vie cou-rante est plus cher. Si on prend l’exemple de l'essence, en Guyane, le prix du litre de sans-plomb était à 1,77 euro fin 2008. Au même moment en France, il était à 1,55 euro. Résultat: deux semaines de paralysie totale et de blocage du réseau routier... Il en va de même pour les produits alimentaires, souvent importés. Leur prix atteint des sommets à cause du coût du transport, par avion pour les pro-duits frais. Et les commerçants en profitent souvent pour appliquer des marges substantielles, voire exorbi-tantes. Sur les rayonnages des hypermarchés, dans les territoires du Pacifique, on trouve ain-si des yaourts à plus de 15 euros le pack.
Au coût du fret s'ajoutent les taxes douanières, comme "l'octroi de mer" en Guyane, Guadeloupe, Martini-que et Réunion. Un impôt qui indigne les commerçants, parce qu'il s'applique non pas sur les produits ven-dus mais sur les stocks de produits importés. Depuis quelques années, et conformément à la législation européenne, cette taxe s'applique aussi sur les produits locaux, grevant un peu plus le portefeuille des habitants.

Sous le paradis naturel et fiscal, « enfer social » et esprit colonial

Si certains « tirent leur épingle du jeu » et s'en sortent même très bien financièrement, c'est qu'il existe un véritable traitement à deux vitesses pour les salariés. Il y a ceux qui viennent de France -les "métros" (métropole)-, et il y a les autres. Les fonctionnaires mutés outre-mer voient ainsi leur salaire augmenter de 35% dès qu'ils arrivent à la Réunion, de 40% quand ils s'installent en Guadeloupe, en Martinique ou en Guyane, et de plus de 100% dans les îles les plus éloignées de Polynésie française... La plupart du temps, les salaires des Fran-çais qui travaillent dans le secteur privé sont alignés sur ceux des fonctionnaires.

D’un deuxième côté, il y a les travailleurs locaux qui occupent le plus souvent des emplois ingrats et très mal pa-yés. D'autant plus mal payés que le montant du Smic, en Guadeloupe ou en Polynésie, est largement inférieur à celui de la métropole. D'après les syndicats, on compterait même en Guadeloupe près de 100 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Ailleurs, ce n'est guère plus brillant...

D’un troisième côté, et c’est peut-être le problème le plus grave et le plus dif-ficile à résoudre, perdurent des structures qui sont apparues au moment de la traite des esclaves et se sont solidifiées à la période coloniale. Les « békés » (familles françaises « blanches » descen-dants de colons) représentant 1 % de la population, maîtrisent en Martinique 40 % de l’économie et 52 % des terres agricoles. A la Guadeloupe, les « Blancs-Pays » (familles françaises « blanches » descendants de colons) ne représentent également que 1% de la population environ et ils sont détenteurs de 80 à 90 % des richesses... Leur fortune serait colossale. Ils sont en effet à la tête de toutes les grandes « enseignes » (entreprises de distribution) de l’île : Renault, Mitsubishi, Carrefour ou Monsieur Bricolage appartiennent à Bernard Ayotte, 110e fortune de France. La famille Lorette, elle, détient 35 entreprises ici, comme Peugeot, ou les stations-services Texaco.

Comme nous le verrons, L’histoire des Antilles est complètement différente de celle de la France. Les Antilles sont le fruit de la conquête des Amériques, de l’esclavage et de discrimination raciale. Longtemps, les richesses de ces colonies (en particulier la canne à sucre) ont été drainées vers la métropole, sans aucune contrepartie. La transformation de ces îles en départements d’outre-mer en 1946 n’a pas réussi à changer radicalement les choses, même s’il y a eu des améliorations.

Le fait que les prix sont historiquement élevés serait donc dû à la dépendance, héritée de la colonisation, des produits de la métropole, y compris lorsqu’il s ’agit de produits à l’origine antil-lais mais nécessitant une transformation (le sucre blanc). Toute tentative d’installer une agriculture et une industrie locale, autonomes autant que faire se peut, aurait été bloquée par ces lobby issus pour la majorité de familles d’anciens colons et tirant leurs revenus de l’import-export et de la distribution. Le coût du transport ne serait pas seul responsable de la vie chère. Un audit a été récemment lancé par Yves Jégo, Secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-Mer, afin d’évaluer d’éventuelles marges abusives. Un récent rap-port d’experts vient, également, de s’intéresser à la politique des prix des pétroliers (Total et sa filiale Sara) qui se fournirait en mer du Nord alors qu’il y a du pétrole pas loin, au Venezuela...

Le fait que les salaires de la population locale sont historiquement si bas serait également lié au système colonial. Au départ, l’esclave noir n’était pas payé. Il était simplement nourri-logé-soigné. Et ce système perdura trois siècles. Après l’abolition de l’esclavage en 1848, les anciens esclaves sont devenus travail-leurs agricoles recevant des « salaires de misère », et cela dura jusqu’à la fin des années 1950. Une fois que les An-tilles sont devenues départements d’outre-mer, les lois sociales hexagonales ont commencé à y être appli-quées au fil du temps, mais, comme nous l’avons déja vu, l’octroi d’un sursalaire de 40 % aux fonction-naires métropolitains exerçant aux Antilles et le fait que leurs collègues antillais ont obtenu le même avan-tage après une grève en 1946 sont venus perturber gravement et pervertir le système, le tout provoquant une véritable fracture sociale.

Enfin un dernier élément viendrait encore ajouter à la complexité de la situation. Julien Mérion, politologue guade-loupéen, rattaché à l’université des Antilles, considérerait, que, derrière la crise sociale qui est réelle, il y aurait une crise identitaire. Selon lui, celle-ci est « profonde » et ne se limite pas à endosser le passé douloureux de l’esclavage. Elle inclut la revendication de se poser en peuple libre et souverain, capable de « se prendre en main» et de « décider par lui-même ». Ainsi, se trouve en réalité posée « une problématique institu-tionnelle et politique » – celle d’une autonomie, voire d’une indépendance, sans rompre les liens avec la France – «qu’il sera de moins en moins possible d’éluder ».

Après avoir présenté la situation telle qu’elle apparaît aujourd’hui dans sa problématique et dans les conflits gra-ves qu’elle pourrait provoquer à l’avenir si une très sérieuse médiation gouvernementale et une intense négociation entre toutes les parties en présence n’intervenaient pas très rapidement, retraçons maintenant succincte-ment l’historique de cette France des Antilles.

La France d’Outre-Mer

La France d'outre-mer, souvent désignée par l'abréviation DOM-TOM permet de désigner collectivement l'en-semble des terres sous souveraineté française situées hors métropole. Ces territoires sont tous d'anciennes colonies françaises. Les DOM-TOM ont une population de 2 624 505 habitants au 1er janvier 2009. L’expression DOM-TOM signifie Département d'outre-mer - Territoire d'outre-mer. Depuis le 18 mai 2007, le ministre chargé de l’Outre-Mer est Michèle Alliot-Marie (UMP), actuellement Ministre de l'Intérieur, assistée par le secré-taire d'État Yves Jégo depuis le 18 mars 2008, à qui incombe de fait la délicate tâche de mettre d’ac-cord les diffé-rentes parties antagonistes en présence.

Les départements et régions d'outre-mer, ( DOM ou bien DOM-ROM ou encore DROM) ont le même statut que les départements et régions métropolitaines. Ils sont régis par l'article 73 de la Constitution. Ce sont la Gua-deloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion (974). La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane for-ment les départements français d'Amérique (DFA). En outre, les DOM-ROM font partie de l'Union européenne et en sont des « régions ultra-périphériques » (RUP), régions qui font partie de l'Union européenne mais sont situées très largement en dehors du continent européen.

Les quatre départements d'outre-mer sont d'anciennes colonies, restées françaises quasiment sans interruption depuis leur établissement au milieu du XVIIe siècle. Le statut de département d'outre-mer leur a été attribué par la loi du 19 mars 1946 formant l'Union française. Les personnes originaires des DOM ou y habitant sont dits les Domiens.

La Guadeloupe

A la fois une région d'outre-mer et un département d'outre-mer français (numéro 971), ce petit archipel des Antil-les (mer des Caraïbes) se trouve à environ 7 000 km de la France métropolitaine, à 600 km au nord des côtes de l'Amérique du Sud, et à 950 km au sud-est des États-Unis. Autrefois appe-lée calaou çaera, puis Karukera (« île aux belles eaux »), Guadeloupe tient son nom actuel du Monastère royal de Santa María, situé dans la ville espagnole de Guadalupe, dans la province de Cáceres en Estrémadure, dont la statue de la Vierge (la « Virgen de Guadalupe »), était vénérée par Christophe Colomb qui vint la remercier pour son aide lors de la découverte du « Nouveau monde ». Le département de la Guadeloupe regrou-pe administrativement cinq îles et de nombreux îlots. L'île de la Basse-Terre et l'île de la Grande-Terre consti-tuent la Guadeloupe stricto sensu. En dépendent administrativement la Marie-Galante, les îles des Sain-tes (au sud), la Désirade (à l’est).

L'histoire moderne de la Guadeloupe commence en novembre 1493, lorsque Christophe Colomb arrive dans l'île lors de son deuxième voyage. À l'époque, la Guadeloupe est peu-plée par les Caraïbes, peuple amérindien présent sur l'île depuis le VIIIe siècle. Elle était habi-tée auparavant par les Arawaks. À partir de 1635, Charles Liènard de l'Olive et Jean du Plessis d'Ossonville en prennent possession au nom de la Compagnie fran-çaise des îles de l'Amérique. C'est le début de la colonisation de l'île. En 1674, la Guadeloupe passe sous l'autorité directe de la couronne du roi de France et devient par la suite une dépendance de la Martinique. En 1848, sous la Deuxième République, l'esclavage est aboli. La Guadeloupe a participé à la seconde guerre mondiale en fournissant des hom-mes aux FFL Forces françaises libres (dirigées par le Général de Gaulle) pour participer à la résistance.

Le 19 mars 1946, les anciennes colonies de l’Empire français font place à « l’Union française », mais celle des Antilles françaises se rapprochent du statut de la métropole et deviennent des départements d’outre-mer : la Guadeloupe et la Martinique. Le 14 février 1952, dans la ville du Moule, est organisée une grève par les ouvriers de l'usine Gardel pour une hausse de leurs salaires, des barrages avaient été érigés par les grévistes sur le piquet de grève. Finalement, les militaires français sur place reçurent l'ordre de tirer sur la foule faisant 4 morts et 14 blessés. Ces événements sont appelés "Massacre de la St-Valentin". Des faits simi-laires eurent lieu les 25, 26 et 27 mai 1967 : des manifestations ouvrières en vue d'obtenir une augmentation salariale de 2,5 % seront réprimées par la police arrivée sur place qui tire sur la foule, entraînant la mort de 87 personnes.

La Martinique

Comme La Guadeloupe, La Martinique est à la fois une région d'outre-mer et un département d'outre-mer (numé-ro 972) français. Elle devrait son nom à Christophe Colomb qui la découvre en 1502. Selon l’historien Sydney Daney, l’île aurait été appelée « Jouanacaëra », par les Caraïbes, ce qui signifierait « l’île aux iguanes ». Elle est devenue française en 1635. Faisant partie de l'archipel des Antilles, elle est située dans la mer des Caraïbes, à environ 450 km au nord-est des côtes de l'Amérique du Sud.

Le peuplement de la Martinique est relativement récent. Son histoire est largement marquée par celle de la colonisation de l’Amérique, les guerres d’influence entre les anciens empires coloniaux européens, l’évolution des activités agricoles, l’éruption de la Montagne Pelée de 1902 et les calamités climatiques, ainsi que des reven-dications indépendantistes modernes.

Puissent ces lieux si originaux et attrayant de Guadeloupe et de Martinique parvenir à un équilibre humain et une harmonie sociale si mérités !

Olivier Jamet

Vous pouvez retrouver l'article complet ( illustrations, traduction japonaise) sur le site du Club France de Nara.