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15 septembre 2008

Sarkozy et la laïcité : le malentendu

Ignorant de l’histoire politique et religieuse de la France ? Enfonceur de portes ouvertes ? Ou machiavélique stratège réactionnaire? Difficile de qualifier l’obstination présidentielle à continuer de parler de « laïcité positive » comme il l’a fait lors de son discours d’accueil du Pape, et d’en saisir les fondements et les objectifs politiques. A défaut d’explications claires et de volonté de l’intéressé d’en débattre (c'est-à-dire avoir des contradicteurs), essayons néanmoins de comprendre.

Depuis plusieurs années déjà Nicolas Sarkozy s’efforce de convaincre le pays, avec d’autres à l’UMP comme Eric Raoult, que la laïcité, telle qu’inscrite dans les lois et appliquée en France, ne serait pas ou plus adaptée à la réalité de notre temps. Lui reprochant une forme d’incapacité à assimiler les nouvelles religions émergeantes sur le sol de la République (principalement l’Islam) il vitupère contre le musellement et l’oppression dont serait victime la principale religion du pays (le Catholicisme). En 2004 dans son livre La République, les religions, l'espérance il jugeait la laïcité « épuisée» flirtant avec « le fanatisme ».
C’est de ce constat qu’il tirait et continue à tirer argument pour « appelle[r] une nouvelle fois à une laïcité positive » (discours du 12 Septembre 2008).

Le terme de « laïcité positive » est devenu le leitmotiv présidentiel et le symbole de la polémique qu’entraînent les prises de position du Président. En juxtaposant un qualificatif comme « positif » il entend modifier le sens et la valeur première du mot qu’il qualifie. A moins de vouloir sciemment produire un pléonasme, ajouter « positif » au mot « laïcité » implique soit que cela ne va pas de soit, soit que c’est même l’inverse, la laïcité n’est ni un bien ni une avancée sociale. On trouve l’exemple de cette réhabilitation d’une politique négative par son positivisme sémantique aux Etats-Unis dans la politique de « discrimination positive » qui vise à favoriser ceux (les Afro-américains) qui furent victimes des politiques ségrégationnistes, instrument de discrimination (et ce n’est pas un hasard si Nicolas Sarkozy a aussi repris cette idée à son compte).

Comme la discrimination a pu trouver sa rédemption dans son positivisme, Nicolas Sarkozy sous-entend que la laïcité peut et doit en faire de même. Comment ? Réponse toujours hier devant Benoît XVI : en inventant une « laïcité positive, (…) laïcité ouverte, (…) une invitation au dialogue, une invitation à la tolérance et une invitation au respect ».
Propos magnifiquement consensuels, humanistes et démocrates qui sonnent aussi doux qu’une certaine loi du 9 décembre 1905, signée par le Président de l’époque Emile Loubet et pierre angulaire de… la laïcité à la française. Car qu’est-ce que l’article 1 de la loi quand est décrété que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes », sinon un appel à la tolérance vis-à-vis des croyants et des incroyants ? Que sont les articles 31 et 32 qui sanctionnent les « mangeurs de curés » et autres perturbateurs de messes, sinon des appels au respect des croyances et des croyants ?

A entendre ainsi les propos présidentiels, on s’interroge sur sa connaissance des textes législatifs et l’histoire de leur vote, ainsi que sur l’originale interprétation qu’il en tire ou sa vision démoniaque et archaïque de la laïcité. Alors petit rappel : Non la laïcité, comme appliquée dans la République n’est pas synonyme d’athéisme d’état, non la laïcité comme loi votée en 1905 ne vise et n’a jamais visé à l’annihilation de toute religiosité en France, la laïcité étant au contraire la recherche d’harmonie entre l’état, la religion majoritaire, celles minoritaires, les athées et incroyants. Laisser entendre comme le Président que la loi de 1905 cherche à museler toute religiosité c’est ignoré le soucis de la majorité des parlementaires de l‘époque de parvenir à une loi d’apaisement et de respect. Qu’on se souvienne des propos du rapporteur de la loi, Aristide Brillant, mettant en garde les anticléricaux à la Chambre contre « toute loi qui soit braquée sur l’Ėglise comme un revolver ». Ce soucis de la modération avait été ainsi commenté par l’écrivain Charles Péguy : la loi « en un mot, elle n’avait point été combiste*, mais beaucoup plus républicaine. »

« On tremble devant tant d'inculture historique ! » écrivait Bernard Poignant dans une tribune publiée par Le Monde du 09 Septembre 2008 suite à des propos du président sur la Russie. Il semblerait que son ignorance s’étende aux champs du droit et de l’histoire politico-religieuse de la France. Inquétant.

Mais l’ignorance n’empêche pas l’action politique ou la volonté de donner l’illusion de l’action politique. En créant une polémique sur un sujet sensible, le président donne l’impression de vouloir faire changer les choses, renforçant aux yeux des plus crédules sa stature « réformatrice ». Même si, comme on l’a vu dans les exemples précédents sur la définition de la laïcité, il ne fait que reprendre ce qui est déjà en vigueur depuis plus d’un siècle. Le Président enfonce des portes ouvertes pour mieux se targuer de les avoir déverrouillées, comme avec cette perle oferrte au Pape: « La quête de spiritualité n'est pas un danger pour la démocratie, et n'est pas un danger pour la laïcité. ». Evidemment puisque l’essence même de la laïcité est de défendre le droit à la quête de spiritualité, quelle qu’elle soit ! On imagine mal un principe être mis à mal par la propre définition de sa raison d’être.

Malheureusement, consciemment ou inconsciemment, en redéfinissant la laïcité comme une caricaturale domination de l’athéisme, ce qu’elle n’est absolument pas et se défend d’être, Nicolas Sarkozy attaque un des piliers de notre République, une des valeurs qui fondent, forgent et unifient notre nation. Au risque de réveiller des vieux démons comme le montrent les réactions du porte parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, qui a traité les gens qui s’offusquaient des propos présidentiels « de vieux laïcards » ou de François Hollande qui n’hésita pas à qualifier les dits propos de « vieille rengaine de la droite la plus cléricale ». La même qui était anti-parlementariste et anti-républicaine…

Alors Nicolas Sarkozy machiavélique stratège d’une droite réactionnaire, anti-républicaine sur le retour ? Cela peut paraître excessif. Néanmoins, on peut s’en inquiéter tant est récurrent le propos et la stratégie pour y parvenir semble claire : en pointant des menaces (plus fantasmées que réelles) qui pèseraient sur la laïcité, en sapant sa portée, il entend préparer l’opinion publique à une modification de ses règles d’application aux travers de réformes jugés, unilatéralement, indispensables. Celles-ci présentées sous un emballage de « modernité et d’ouverture » marqueront bien évidemment un recul de la laïcité (on pense notamment à un développement du soutien financier aux écoles religieuses, de l‘utilisation des institutions religieuses comme suppléant social ou médiateur de l’état dans certains quartiers…).
Les exemples de réussite de ce type de stratégie mystificatrice ne sont malheureusement plus à démontrer. Rappelons ainsi la réduction substantielle et régulièrement dénoncée par nombres d’associations, des libertés individuelles depuis 7 ans aux Etats-Unis après l’entrée en vigueur du « Patriot Act » : ensemble de lois pourtant votées au nom de la défense des libertés mais qui s’avouèrent ouvertement liberticides.

Nicolas Sarkozy ignorant et inculte ? Grand communiquant dans le vent ? Ou grand ordonnateur d’une réaction anti-laïque ? Quelque soit la réponse, une grande vigilance s’impose. Car si aujourd’hui il y a un problème de laïcité en France, il provient plus de la multiplication des prises de position présidentielles dans le domaine du religieux et des croyances (et dans beaucoup d’autres d’ailleurs) ou dans son obstination à vouloir exprimer, et dicter une (sa ?) pensée aux Français que de l’implication des religions dans la gestion de l’état. Il est grand temps que notre César rende à Dieu ce qui est à Dieu, et retourne à la mission pour laquelle il a été élu.

Alexandre Joly.

* du nom d’Ēmile Combes, président du Conseil de 1902 à 1905, anticlérical convaincu bien que spiritualiste, qualifié à l'époque de « mangeur de curés » .