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04 juin 2008

Mariage annulé de Lille : la République des aboyeurs

C'était trop beau ! Je m'apprêtais à saluer le courage et la fermeté de la Garde des Sceaux devant l'hystérie collective quand, ce mardi 3 juin, un communiqué du ministère de la Justice a annoncé que Rachida Dati « souhaite que la juridiction collégiale d'appel puisse être amené à se prononcer à nouveau». Autrement dit, faire appel de la décision du tribunal de Lille qui avait accepté la demande d'annulation du fameux mariage.

Cette volte face de Rachida Dati ne surprend malheureusement pas, tant était forte la pression médiatique et faible et sans constance est ce gouvernement ! Ainsi, une fois de plus dans notre pays le Droit et la Justice sont baffoués par l'Etat qui de plus s'immisce dans la vie d'un couple. Or la négation de l'état de droit et une volonté d'imprimer son emprise sur la vie privé contre la volonté des intéressés sont deux des mamelles d'un état totalitaire.

Mais revenons sur l'affaire.

S'exprimer sur un jugement rendu comme celui du mariage annulé de Lille est toujours mal aisé, car réclamant une maitrise de tous les paramètres du dossier que seul le juge et les parties en présence connaissent. Or ces derniers jours, 3 voies sont complètement étouffées : celle du juge, et surtout celles des deux principaux intéressés, à savoir les ex-époux.

Enfin, à cela s'ajoute le malaise lié au fait que des politiques, des militants associatifs ou des polémistes s'immiscent sans la moindre pudeur dans une affaire d'ordre privée sans le moindre respect pour les personnes concernées. C'est pourquoi dans cette polémique ce qui est de l'ordre du privé (la liberté de conscience, les attentes et les engagements personnels) a trop rapidement était amalgamé à ce qui tenait de la loi, avec pour résultat de carricaturer notre Droit et de sombrer dans le ridicule.

Volontairement ? On peut le penser. Car ce débat oppose deux tendances laiques et deux visions de notre démocratie. Les « progressistes » et les « libéraux ». Les premiers veulent faire un monde ou les libertés seraient imposées, les seconds un monde où elles seraient garanties. Dans le premier cas on impose les choix moraux et privés, dans le second ils sont laissés à la discrétion des particuliers.

Historiquement, les pays dans lequel le premier camp a pris le dessus ont rapidement tourné à la dictature. Seul le second garantit un avenir libre.

Chacun est en effet libre d'avoir le point de vue qu'il souhaite sur l'exigence de virginité avant le mariage. On peut trouver cela machiste, indispensable, réactionnaire, bien, moyen-âgeux, romantique, complètement tarte, irréaliste.... toutes ces opinions sont de l'ordre de la conscience personnelle et doivent donc être, sinon respectés, avoir au moins libre cours. Sauf à vouloir un état qui dicte les consciences. Et si la loi dans une démocratie laique et libérale n'a pas à imposer le principe religieux de la nécessité de virginité, il n'a pas non plus à condamner le fait que certains souhaitent se l'imposer comme principe de vie.

C'est ainsi que balayant toutes précautions de langages, nombreux sont ceux qui dans ce landerneau médiatico-politico-associatif se sont engagés dans une course au propos le plus délirant et le plus choquant n'hésitant pas à faire dans l'approximation, le mélange des genres ou la contre-vérité pour faire parler d'eux. Mais pour dire quoi ?

Fadela Amara, à l'unission des associations féminines et de personnalités de gauche, devant la presse le 30 mai à Evry affirmait que l'annulation du mariage est « une vraie régression, un camouflet pour la liberté des femmes et même pour notre pays » . S. Royal enchaînait dans le JDD du 1er Juin estimant que c'était « une régression du droit et de la dignité des femmes » . Ajoutant que la juge « avait toutes les bases juridiques pour ne pas annuler le mariage ».

Propos surprenants. Pourquoi cette condamnation morale de l'acceptation de demande d'annulation d'un mariage ? Le progrès que prétendent défendre tous ces gens, résiderait-il donc dans l'obligation faite à ce couple qui ne souhaite pas vivre en commun de le faire ? Jusqu'à aujourd'hui il me semblait que les avancées en matière conjugale visaient justement à promouvoir la liberté de rompre les liens du mariage par l'annulation ou par le divorce, pas l'inverse.

A écouter et lire tout ces commentaires, on a l'impression, et certains ont même osé le terme comme SOS racisme ou Patrick Devedjian, que la justice a « intégré la pratique de la répudiation dans le droit positif » (communiqué UMP du 30 mai), avant que ce dernier ne mette un peu d'eau dans son vin, se rappelant sa formation juridique. Car par répudiation, pratique infiniment condamnable, on entend que le mari se sépare de sa femme au motif qu'elle ne serait plus vierge, contre (et c'est là le plus important) la volonté de celle-ci. L'avis et le choix de l'épouse dans la répudiation n'est pas pris en compte.

Dire cela est doublement scandaleux et injurieux pour le droit français, car c'est en premier lieu faire croire que devant les juges et dans les tribunaux français les femmes ont moins de droit que les hommes, ce qui évidemment mensonger et c'est ensuite omettre l'essentiel de l'affaire, à savoir que la décision d'annuler le mariage est une décision commune et volontaire des deux époux. Ce qui est l'opposé de la répudiation dans laquelle la femme n'a pas son mot à dire. Condamner cette décision de justice, c'est alors avant toute chose condamner le libre choix des époux et surtout celui de la femme de ne pas être contrainte de vivre avec un mari qui ne le souhaite pas non plus.

Ici, le magistrat n'a ni interdit, ni fait passer les délires de l'un avant les désirs de l'autre, il a enterriné la volonté commune des deux époux de se séparer et de faire annuler le contrat : il n'a donc pas contraint, il a libéré !

L'article 180 du code civil sur lequel est basé la décision est par ailleurs avant tout un texte qui vise à empêcher les mariages forcés ou tronqués pour défendre la liberté de choix, comme l'a exprimé un peu maladroitement Rachida Dati : "La justice est là pour protéger. Le fait d'annuler un mariage est aussi un moyen de protéger la personne qui souhaite peut-être se défaire du mariage, parce que je pense que cette jeune fille (...) a souhaité également, sans doute, se séparer assez rapidement".

Dire le contraire de ce texte et vouloir le modifier comme le propose Dominique Paillé, conseiller politique de Nicolas Sarkozy dans un entretien à Le Point.fr, c'est défendre la vision la plus conservatrice et la plus traditionnaliste du mariage. En effet, où est le progrès à dire comme lui qu' «  il faut supprimer toute cause d'annulation d'un mariage » . Car rappelons que cet article de loi entend empêcher les cas de mariage forcé ou tronqué en affirmant que « l'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage. ». Vouloir rayer cette disposition ce n'est pas une avancée mais un bien grand bon en arrière !

Car dans cette affaire, le fond du jugement a été plus ou moins volontairement omis et détourné. Sur son blog, le juge Jean-Pierre Rosenczveig  explique bien que « la question posée aux juges lillois n’était pas celle de la virginité au mariage ou celle de la chasteté avant la mariage, mais celle de savoir, pour annuler un mariage, si la mariée avait trompé son époux sur un élément essentiel. Le mari l’affirme, la jeune femme l’admet.».

Le fond de l'affaire, ce n'est donc pas l'hymen de la jeune femme, c'est la confiance rompue entre les deux époux. Et comme le signalait Hervé Mariton (UMP), qui a condamné mardi 3 Juin la décision de faire appel, « beaucoup de gens considérent qu'on ne peut pas baser un mariage sur un mensonge ». L'article 180 aussi, surtout quand celui-ci est reconnu et considéré capital par les deux époux, comme dans le cas présent

Mais cette nuance pourtant capitale, les détracteurs de cette décision ont refusé de la voir. Soit par un sincére aveuglement idéologique ou émotionnelle devant une idée (la virginité avant le mariage) qui apparaît à certains milieux parfaitement rétrogrades, soit par calcul politique, pour jouer sur la peur de l'Islam, tendance malheureusement trop présente dans notre société et en particulier dans les médias, ou tout simplement pour le plaisir d'aboyer avec la meute.

Espérons alors que le prochain jugment, s'il a lieu, confirmera en appel le premier verdict et qu'aucune proposition de lois à la va-vite ne viendra modifier l'artcile 180. Il en va en effet de la crédibilité d'une justice bien trop souvent malmenée dans notre pays et qui ne doit être l'otage, ni de la pression médiatique, ni de la manie, qui agite les bancs de l'Assemblée Nationale, « de légiférer dès qu'il y a un fait divers ». « Très mauvaise habitude française depuis longtemps » comme l'affirmait à Radio J, dimanche, Patrick Devedjian, qui avait décidément mis énormément d'eau dans son vin en 3 jours.

Rappelons enfin un principe qui devrait et aurait dû primer : celui de prendre en compte la volonté des deux parties de se séparer. Car aujourd'hui, suivant les propos de François Bayrou sur LCI, nous avons avant tout une pensée pour le droit à la liberté de choisir de cette jeune femme « qui est elle même demanderesse (sic) de cette dissolution pour que tout cela soit derrière elle ». Ce dont malheureusement nombre de ses défenseurs autoproclamés se soucient peu.

Alexandre Joly.