07 août 2007
Liban : auto-censure française
Il est parfois dans l'information des absences qui valent toutes les analyses du monde. Ce lundi soir, aucun des journaux télévisés de TF1 ou France 2 n'ont parlé des résultats des élections partielles qui se sont déroulées au Liban ce dimanche. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir ignoré l'existence de ces scrutins, puisque le dimanche soir des reportages leur étaient consacrés.
Ces mêmes résultats n'ont été relégués dans les journaux en ligne du Figaro et du Monde que dans les sous-catégories relatives, et non comme le jour des élections, dans les gros titres.
Pourquoi ce soudain désintérêt pour le Liban, pourtant sujet chéri des journaux français depuis 30 ans ? Pourquoi avoir donc relégué une information pourtant importante dans une région où la France tente de jouer un rôle majeure ? Pourquoi...
Peut-être parce que les résultats n'ont non seulement pas été ceux espérés par les médias et la diplomatie française, ceux pour lesquels cette dernière oeuvre, mais aussi et surtout parce que ces résultats ont présenté une facette plus complexe du monde en général et du Proche-Orient en particulier que nos médias « occidentaux » n'aimeraient les voir. Ainsi, c'est un camouflet diplomatique que la France a pris dimanche soir, et ce fût une leçon de géopolitique pour les analystes et journalistes.
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Dimanche soir dans la circonscription du Metn-Nord, la région au nord de Beyrouth, le candidat de la majorité au pouvoir, l'ancien président Amine Gemayel, père de Pierre Gemayel, précédent député de la circonscription, mort assassiné en novembre 2006, a été battu par le candidat de l'opposition, un illustre inconnu du nom de Camille Khoury, membre du C.P.L de Michel Aoun. Cette victoire qui s'est jouée à 400 voix près, pour plus de 70 000 votants sur plus de 140 000 électeurs inscrits, a bien sûr des conséquences pour les Libanais, mais elle en aura aussi sur la façon dont la France devra conduire sa politique au Liban.
La France soutient inconditionnellement, avec les Etats-Unis, l'Arabie-Saoudite et l'Europe, la majorité au pouvoir : une coalition composée du Courant du Futur de Saad Hariri, du P.S.P druze de W. Joumblatt et de partis chrétiens comme les Kataebs ou les Forces Libanaises. En face d'elle, l'opposition dont les fractions principales sont le Hezbollah, Amal et, récemment rallié, le Courant Patriotique du Liban de M. Aoun.
Dans le petit monde médiatico-politique occidental, la chose est entendue : il faut soutenir les « bons » démocrates de la majorité contre les « méchants » auxiliaires de la Syrie qui sont dans l'opposition. Mais voilà, les choses sont plus complexes et face à cette complexité, on a préféré l'aveuglement, la facilité et plus grave pour les Libanais le parti-pris intéressé au détriment de la pluralité et de l'originalité libanaise. Or, les résultats de dimanche ont donné une autre image de la réalité de ce pays. Dans un processus démocratique, les Libanais d'une circonscription pourtant majoritairement chrétienne, mais où de nombreuses communautés religieuse cohabitent, ont choisi l'opposition.
Ou plus précisément le candidat d'un parti qui fait de l'indépendance, de la déconfessionalisation et surtout de la « déféodalisation » du Liban son cheval de bataille, d'un parti dont le chef est le seul qui durant toutes les années du conflit de 1975 à 1990 n'a jamais composé avec l'occupant syrien et que nos médias présentent cependant aujourd'hui comme sa marionnette, allié du diable hezbollahi.
Mais combien en France et aux Etats-Unis ont lu la plate-forme de travail proposé par le C.P.L et signé par le Hezbollah ? Qui en Occident a lu les demandes de réforme constitutionnelle, vrais propositions de déconfessionnalisation du pays ? Qui s'est intéressé aux propositions d'amélioration du système électoral visant à défaire ces fiefs ancestraux sur lesquels s'appuient une partie de la majorité et qui alimente pourtant la corruption ?... Presque personne chez nous, mais au moins 35 000 au Liban. Et c'est bien là le principal.
Reste à savoir combien de temps cette réalité démocratique naissante va-t-elle tenir ? L'aveuglement comme les intérêts divergents font que les puissances régionales ou mondiales soufflent sur les braises libanaises encore chaudes, au risque de rallumer un incendie.
Et, si les médias français se sont abstenus de tout commentaire c'est parce qu'aujourd'hui les électeurs du Metn-Nord nous ont donné une leçon de démocratie.
Alexandre Joly.
05:15 Publié dans Actu internationale | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Liban, elections, Metn, Aoun
Commentaires
On peut en effet regretter que les démocraties occidentales ou les opinions publiques promptes à s’offusquer des agressions de toute sortes n’aient pas la ténacité de suivre un sujet et de lui apporter du volume. L’élection au Metn était en effet une élection à haut risque. Elle s’est déroulée d’une façon remarquable malgré les pressions de toutes sortes. Pourquoi les média français n’ont-ils pas souligné ces faits après avoir alarmé l’opinion ? au contraire, au lendemain de l’élection, ils préféraient appeler au malheur des chrétiens désunis ! La communauté a pourtant démontré hier son engagement pour la démocratie, quelque soit la forme du résultat obtenu.
Écrit par : nico | 07 août 2007
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