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20 mars 2009

Francophonie : retour sur l’affaire Ishihara

Comme vous avez très certainement dû ne pas vous en apercevoir tant les médias hexagonaux l’ont passé sous silence, ce vendredi 20 mars est la Journée de la Francophonie. Journée d’hommage qui n’aura malheureusement fait couler que très peu d’encre hors la Une du journal libanais L’Orient – Le Jour. Le pays du Cèdre accueillant en effet les cérémonies officielles, et donc les délégations des pays membres de l’OIF. Ce silence est malheureusement significatif du désintérêt des élites françaises chez qui Abdou Diouf, président de l’OIF, avoue ne pas « ressentir le militantisme francophone » des milieux intellectuels des autres pays.

Pour cette journée d’hommage à la langue française, de nombreuses manifestations sont aussi programmées à travers le monde, comme celles organisées à l’Institut de Tokyo ou à l’IFJ de Kobe le 21 mars.

A cette occasion nous avons souhaité revenir sur l’affaire qui a opposé de 2004 à 2009 un groupe de plaignants (voir leur site de soutien) au gouverneur de Tokyo, S. Ishihara, suite à ses violentes diatribes contre la langue française. Bien que l’épilogue de ce feuilleton judiciaire ait eu lieu il y a quelques semaines avec le rejet de la plainte par la Haute Cour de Justice, nous avons voulu reparler de l’affaire avec Malik Berkane, directeur d’une école de langue à Tokyo, qui est à l’origine des poursuites.

M. Berkane, pourriez-vous en quelques mots nous résumer l’origine de l’affaire qui vous a opposé au gouverneur de Tokyo ?

J’ai eu entre mes mains un pamphlet que des professeurs de l’ex-université municipale de Tokyo avaient rédigé et adressé au service culturel de l’ambassade de France à Tokyo, et dans ce pamphlet, ils reproduisaient les inepties du maire de Tokyo concernant la langue française. C’est de là que j’ai décidé dans un premier temps d’envoyer une lettre au maire de Tokyo pour lui demander sur quoi était basé sa déclaration sur notre langue, mais cette lettre est restée sans réponse. Devant l’immobilisme de notre représentation diplomatique qui n’a même pas daigné répondre au pamphlet mentionné ci dessus, j’ai pris la décision d’entamer une procédure judiciaire.

Sur quelles bases juridiques du droit japonais avez-vous fondées votre plainte ?

Sur la diffamation. Il y a eu au Japon ces dernières années des cas un peu similaires aux nôtres qui ont fait jurisprudence.

Pensez-vous que les propos de M. Ishihara ont eu un impact négatif sur l’image de la langue française au Japon ? Et en a-t-il découlé un préjudice financier pour les écoles de langue comme la votre par exemple ?

Il est difficile d’évaluer avec précision si oui ou non nous avons perdu des étudiants à cause de ces déclarations publiques, mais ce qui est certain, c’est que d’aucune façon ce genre de propos ne peut contribuer favorablement au rayonnement de notre langue et de notre pays au Japon.

Pendant votre procès, avez-vous été en contact avec les autorités françaises ? Et quelles furent leurs réactions ?

Oh oui ! Leur réaction a été d’opter pour la politique de l’autruche. Ce qui m’a été dit à plusieurs reprises, c’est que M. Ishihara était un amoureux déçu de la France, mais qu’il ne pensait pas vraiment ce qu’il disait et que de toute façon c’était un partenaire économique privilégié et qu’à ce titre, l’ambassade ne pouvait en aucun cas se permettre d’engager une polémique qui risquerait de nuire aux intérêts de la France et plus particulièrement à ceux du Lycée Franco-Japonais.

Selon M. Ishihara, l’ambassadeur de France lui aurait confié : « Vous avez tout à fait raison (...). J’ai moi-même des difficultés à compter en français. » Avez-vous eu confirmation de tels propos ? Et comment avez vous réagi ?

Je ne pense pas qu’il ait dit qu’il avait des difficultés à compter en français. (NDLR : Ce sont pourtant les propos que cite l'AFP dans une dépeche du 13 février 2008) Ishihara a déclaré devant des caméras de télé et après que nous avons été déboutés lors du premier procès que l’ambassadeur qu’il connaissait personnellement très bien était tout à fait d’accord avec ses propos concernant la langue française. Quand je me suis adressé à l’ambassade le lendemain pour confirmation, on m’a répondu que le rôle de l’ambassade n’était pas de faire des commentaires sur les déclarations des élus japonais.

Sur un plan personnel, avez-vous tiré un enseignement particulier d’une telle histoire ?

Tout ceci est malheureusement venu confirmer ce que je savais déjà au sujet de ces personnes qui représentent notre pays au Japon. Ce sont des irresponsables qui ne veulent prendre aucune décision qui pourrait peut-être nuire à leur carrière, et pour la plupart, ils ne sont absolument pas à la hauteur de leurs tâches et de leurs devoirs. C’est d’ailleurs pour cela que ça marche si mal du côté de la langue française. Si l’Etat français cessait du jour au lendemain d’injecter des fonds dans nos Instituts et nos Alliances, pas un seul de ces établissements ne survivrait avec la médiocre gestion de leurs directeurs et des services culturels. Quoi qu’il en soit, j’ai dépensé beaucoup d’argent et de temps dans ce combat et malgré une issue défavorable je garde la tête haute et ce que nous avons fait avec toutes les personnes qui ont soutenu cette action aura peut-être servi à réveiller des consciences. Pour finir, j’aimerais vous dire que les professeurs japonais qui enseignent notre langue dans les universités au Japon se sont sentis affreusement abandonnés par l’ambassade de France et son service culturel.

Entretien réalisé par Alexandre Joly.

22 mars 2007

Combat pour la Francophonie

Ce 20 mars était la journée de la francophonie dans le monde. Une journée dont la couverture a été très modérée, un peu à l'image de ce qu'est la francophonie dans cette campagne électorale : une grande oubliée.

Au Japon, néanmoins, les francophones ont eu droit à leurs articles dans les journaux plus que ce ne fut le cas en France même. Mais surprise, ce ne fut cependant pas à la rubrique Culture, mais à celle de la Justice.

En effet, le 19 mars, un groupe de 74 personnes de différentes nationalités a décidé de poursuivre en justice le Gouvernorat de Tokyo pour les propos desobligeant de son chef, le gouverneur Shintaro Ishihara à l'encontre de la langue et de la culture française. Cette plainte faisant suite à celle déposée en 2005 par 34 plaignants contre Ishihara en personne pour les mêmes propos.

A plusieurs reprises ses dernières années, Shintaro Ishihara a eu des propos déplacés envers la langue française. Certes le personnage est coutumier du fait, puisqu'il est connu pour ses diatribes contre les étrangers (principalement Chinois et Coréens) qu'il qualifia du terme colonialiste de « sangokujin » en Avril 2000, ou encore les femmes âgées qu'il traita de « babaa », équivalent de  « vieilles peaux  inutiles » en 2001.

Ses propos sur la langue française sont intervenus le 19 octobre 2004 lors d'une réunion de soutien à l'Université municipale de Tokyo durant laquelle il a expliqué que « le français était disqualifié comme langue internationale parce que c'est une langue inapte au calcul ».
Aprés une demande d'excuse provenant de plusieurs professeurs de français, il persista le 15 juillet 2005 en expliquant que « les indigènes de Tahiti comptent de façon beaucoup plus rationnelle».
Mais plus grave, les foudres verbales de Ishihara s'abatirrent sur les Français dans leur ensemble le 19 septembre 2005 lors d'une conférence de presse à la mairie de Tokyo quand il affirma que « ce pays d'irresponsable qu'est la France veut proposer ses services (de retraitement d'eau) dans son ancienne colonie d'Indochine, alors que l'eau de France n'est même pas buvable. C'est pour cela qu'ils boivent tous de l'eau d'Evian ».

La stupidité et l'aspect erroné de tels propos auraient pu laisser indifférent s'ils n'avaient des répercussions économiques et culturelles importantes. Les dires de Ishihara ont en effet été relayé dans la presse et à la T.V japonaises qui se sont gaussés de l'étrangeté de notre façon d'énoncer les dizaines 70, 80 et 90 et de la difficulté à les assimiler.

Or ridiculiser une langue en dénonçant sa difficulté d'apprentissage et son inutilité c'est lui faire une contre-publicité qui ne peut qu'inciter d'éventuels étudiants à s'en détourner, et donc l'appauvrir jusqu'à la rendre internationnalement inopérante, mais surtout dans un premier temps cela a une répercussion économique pour ceux qui vivent de son enseignement.

Ce n'est donc pas un hasard si à la tête de ce combat on retrouve le directeur d'une école de français de Tokyo, M. Malik Berkane (dont un lien vers son site est accessible dans la rubrique Combats) soutenu par de nombreux professeurs d'université du Japon. Celui-ci est à l'origine de la première plainte contre Ishihara et de la seconde contre le gouvernorat de Tokyo.

Ce combat, les autorités françaises, si prompt à des déclarations tonitruantes sur la francophonie auraient du le soutenir. Or, ni l'ambassade, ni le ministère des Affaires Etrangères n'ont manifesté la moindre opposition aux propos de Ishihara. Et c'est donc, sans soutien officiel que Malik Berkane et d'autres professeurs de français défendent notre langue devant les tribunaux nippons.

Cette dernière plainte, déposée la veille du Jour de la Francophonie l'a été après que Ishihara ait changé sa stratégie de défense en octobre 2006, affirmant que ses propos n'étaient plus personnels et privés, mais étaient officiels et engagés donc l'administration tokyoïte. Ainsi, s'il y a condamnation, ce ne sera plus lui qui paiera, mais le gouvernorat.

Stratégie surprenante à moins d'un mois des élections gouvernatoriales qui voient Ishihara briguer un troisième mandat. Son plus sérieux adversaire Shiro Asano, indépendant comme lui, mais « soutenu » par le Parti Démocratique du Japon, a d'ailleurs fait des diatribes de Ishihara un de ses thèmes de campagne. Lors d'une conférence de presse au Club des Correspondants Etrangers de Tokyo lundi 19 mars, il a estimé que «c'est un gros problème que le gouverneur de Tokyo pointe (ainsi) du doigt des nationalités» .

Sa langue est un des atouts de notre pays, il est du devoir de nos dirigeants de la défendre aux côtés de ses concitoyens de l'étranger.

Alexandre Joly.