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28 août 2008

Le Canard tire sur les Français de l’étranger

Depuis 1793, régulièrement, la chasse à l’émigré, initialement renégat de la cause républicaine, fait des apparitions sporadiques mais néanmoins notoires dans le landernau politico intellectuelle français. Si durant la Révolution cette chasse pouvait se couvrir d’une feuille de vigne « démocratique », aujourd’hui on en cherche encore la légitimité.

 

Durant la dernière campagne présidentielle on se souvient des sorties de Dominique Strauss-Kahn qui, dans son rapport remis à Ségolène Royale en février 2007, préconisait dans l’article 3.1 alinéa b la mise en place d’un impôt sur le revenu pour les Français établis à l’étranger et joliment défini comme une « contribution citoyenne » dans l’objectif de « retrouver une citoyenneté fiscale ». Peu importait que cette contribution eût fait doublon avec les impôts que les dits émigrés payaient dans leurs pays de résidence, l’objectif étant d’offrir au bon peuple de métropole un nouveau bouc émissaire, cause de tous les maux de la patrie, et de cibler une nouvelle source de revenu à de futures dépenses. La dite proposition avait été accompagnée d’un acerbe commentaire sur « ces Français qui n’ont plus de Français que le nom ».

 

La droite n’était par ailleurs pas en reste si on se souvient des propos tenus par plusieurs députés UMP. MD Japon s'était déjà à l’époque insurgé contre ces propos dans des notes des 21 et 24 février 2007.

 

Néanmoins, aujourd’hui, l’attaque ne vient pas du monde politique, mais de celui des médias. Et si nous ne sommes pas la cible désignée de la charge (celle-ci étant Nicolas Sarkozy), nous en sommes une forme de dommage collatéral tellement la description qui est faite des Français de l’étranger est négativement et méchamment caricaturale. Dommage que nous ne soyons ni race, ni religion, nous aurions alors pu faire appel à la HALD, à un tribunal ou à B.H.L pour nous défendre de ce nouveau coup bas !

 

Explication : Dans son édition du 13 août 2008, l’excellent hebdomadaire Le Canard Enchaîné (le « excellent » n’a rien d’ironique) a publié sous la plume d’Isabelle Barré un article intitulé « Le ruineux cadeaux de Sarkozy aux expatriés » . La journaliste revient sur le coût du projet de gratuité dans les écoles françaises à l’étranger pour tous les enfants français vivant hors du territoire national qui était une des promesses électorales du Président. Si le fond du sujet, qui intéresse tous les Français de l’étranger ayant des enfants , ceux désireux d’en avoir mais aussi effectivement le contribuable lambda, mérite d’être débattu (ce que nous ne ferons pas ici), les présentations et  descriptions caricaturales et négatives qui sont faites des « expats » dans cet article jette par avance le discrédit sur leurs éventuels arguments ou revendications.

 

Tout d’abord qualifiés de « plus aisés » des Français (critère qui accolé au mot « cadeau » a pour objectif de susciter un sentiment d’injustice et d’inégalité chez le lecteur), les Français de l’étranger sont ensuite insidieusement assimilés à Madonna, son fric et ses caprices. Ultime procédé qu’il est pour le moins étonnant de trouver dans Le Canard  car il tient du même processus de dévalorisation de l’individu que celui utilisé par les Républicains américains quand ils assimilèrent Barrack Obama à Paris Hilton !

 

Mais surtout, l’article contribue à alimenter le fantasmagorique et persistant axiome, émigré = argent, avec un sous-titre évocateur « My expact is rich ». Avec en filigrane la non moins redondante idée que si ces Français s’exilent c’est justement pour cacher cet argent et se soustraire à leurs obligations citoyennes. Et Isabelle Barré de donner trois exemples de déclarations de revenu de familles françaises à l’étranger, et seulement ces trois là : « À Londres, l’une des familles concernées par ce généreux cadeau déclare plus de 2 millions d’euros de revenus annuels. Et deux autres gagnent plus de 1 million. ». Ben voilà qui est fabuleusement représentatif du niveau de revenu des expatriés !

 

Riches plus que de raison, fuyant leurs obligations fiscales, forcément sarkozystes depuis que la réforme constitutionnelle leur a accordé le droit de vote aux Législatives, comme l’avait insinué un article de Marianne, voilà les Français de l’étranger affublés d’une image pour le moins suspecte sinon négative pour 80% de la population française.

 

Car cette rengaine, mille fois répétée est malheureusement aujourd’hui devenue réalité pour nombre de nos concitoyens. Et ceux-ci, électeurs consommateurs, sont trop facilement confortés dans leur croyance aveugle par de tels articles ou par des déclarations de politiques comme celles que j’ai cité plus haut. Après cela, toute politique à l’égard des expatriés, quelque soient leurs statuts ou revenus, devient par nature suspecte de clientélisme et allant à l’encontre de l’intérêt national.       

 

Alors, si on peut légitimement débattre de la pertinence de la décision présidentielle, si on peut mettre en avant ou au contraire douter de l’argument selon lequel le droit à la gratuité scolaire dépend du devoir d’imposition ou du montant de celui-ci, si on peut discuter de l’universalité du droit à la scolarité pour les Français, de la raison des prix pratiqués par les lycées ou encore de leur financement, ce débat sera tronqué et donc inutile s’il part sur le postulat que les Français de l’étranger forment un groupe monolithique de parasites nantis, partisans effrénés de Nicolas Sarkozy.

 

C’est non seulement une insulte pour les 45% de Français de l’étranger qui n’ont pas voté pour N. Sarkozy en 2007, c’en est aussi une pour tous les étudiants, stagiaires, bénévoles, employés en contrats locaux, entrepreneurs et pour tous ceux, nombreux, aux revenus plus ou moins modestes qui vivent à l’étranger et pour qui débourser 5500 ou 17000 euros par an par enfant est impensable. C’est enfin une vision déformée de la réalité à partir de laquelle aucune décision juste, égalitaire et efficace ne peut être prise.

 

Alexandre Joly.