13 octobre 2008
Les Européens sont-ils vraiment prêts à mettre en place une défense européenne ?
La lecture d'un article de l'intellectuel néerlandais Ian Buruma, The Wrong Lesson of Munich, (Japan Times du 15 septembre 2008), permet de poser la question de la défense européenne dans des termes qu'on entend peu ou pas en France. Après une démonstration du traumatisme lié aux accords de Munich de 1938, Ian Buruma se demande si les Européens sont prêts et aptes à faire tout ce qu'il faut pour construire une défense européenne commune.
Il y a plusieurs raisons expliquant les difficultés de la mise en place d'une défense européenne commune.
La première raison est le choix de civilisation fait par les Européens. Les Européens s'enorgueillissent souvent de leurs capacités à instaurer des négociations diplomatiques entre adversaires. C'est pour cela que les accords de Münich sont un traumatisme car le jusqu'au boutisme diplomatique n'a en rien évité le pire, au contraire. Les états de l'Union Européenne ont souvent – pas toujours - misé uniquement sur la diplomatie par contrainte (manque de moyens militaires) mais aussi par choix (tout sauf une intervention armée). En cela, les gouvernements des pays membres expriment le sentiment pacifique dominant de leurs opinions publiques respectives surtout depuis la chute du bloc communiste. Comme l'a dit Robert Kagan, les Européens vivent dans un monde post hobbesien. Ils conçoivent le modèle de la construction européenne comme un modèle universel allant de soi. Mourir en faisant la guerre pour des intérêts stratégiques ou pour des idéaux n'est plus vraiment à l'ordre du jour. Il suffit de voir comment est perçue la guerre en Afghanistan.
Mais il y a aussi des raisons liées à l'évolution des puissances européennes depuis 1945.
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les états européens ont pu construire une organisation commune principalement économique garantissant la paix entre eux. La fin des empires coloniaux de certains pays membres, la forte présence militaire américaine en Europe dans le contexte de la guerre froide via l'OTAN, tout cela a conduit à la perte d'importance relative des forces armées des différents pays dans leur budget.
Il faut également ajouter que malgré la coopération entre les états européens n'a pas gommé les différences de vue en matière de politique étrangère. La Suède et L'Espagne n'ont pas souvent les mêmes priorités diplomatiques de par leur histoire, leur poids dans les affaires du monde, leur zone d'influence, etc. Le conflit russo-géorgien a mis en exergue ces différences de vue.
Les Européens critiquent souvent l'unilatéralisme américain et l'usage un peu trop facile de la force militaire par les Etats-Unis. Ils en sont partiellement responsables. L'Union Européenne a vu ses états membres réduire considérablement leur budget de la défense. De fait, les pays européens ont souvent dû faire appel à leur allié américain en cas de crise grave sur leur continent : guerre en ex-Yougoslavie, crise des missiles lors de la guerre froide, etc. Le comportement des Européens est très contradictoire : volonté d'indépendance politique, idée de défendre la paix dans le monde, envie d'être une alternative à la puissance américaine. Mais dans le même temps, ils ne se donnent pas les moyens militaires et diplomatiques de leurs actions et ils appellent au secours le grand frère américain certes un peu rustre mais très utile quand il faut user de la force !
Si les Européens veulent vraiment peser sur la scène internationale et s'ils veulent vraiment se confronter au monde extérieur, il faudra qu'ils se remettent en cause et acceptent d'augmenter les budgets des ministères de la défense, de s'organiser au niveau de la chaîne de commandement, de mieux coordonner leurs forces armées et, surtout, ils devront accepter que l'usage de la force est parfois inévitable. Un Français ou un Allemand peut-il accepter de combattre pour ses voisins Baltes ou autres ? Peut-il comprendre que l'usage de l'outil militaire est parfois nécessaire ? Ce sont questions auxquelles il faudra rapidement répondre si l'on veut construire une véritable défense européenne.
Hervé Tisserand.
La Puissance et la Faiblesse. Les États-Unis et l’Europe dans le nouvel ordre mondial de Robert Kagan, 2003. Editions Plon
The Wrong Lesson of Munich de Ian Buruma.
Une défense européenne essoufflée, par Laurent Zecchini, Le Monde du 01.10.08.
18:03 Publié dans Actu internationale | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, défense, politique, otan
Les commentaires sont fermés.