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07 septembre 2008

Kazuya Ito, l’Afghanistan et l’engagement français

Kazuya Ito avait 31 ans et était japonais. Son corps a été retrouvé mercredi 27 août dans l’est de l’Afghanistan. Mort, criblé de balles. Son crime ? Avoir été agronome et travailler depuis 2003 pour une association japonaise, Peshawar Kai. Sa mission était d’aider les paysans afghans à faire pousser patates douces et riz en lieu et place du pavot, en organisant l’irrigation de terres arides. Et c’est en se rendant sur le site d'un projet d'irrigation, dans la province de Nangarhar qu’il a été enlevé le mardi 26, 24 heures avant son assassinat.

Ainsi,au moment où la France pleure 10 de ses soldats morts dans une embuscade et s’interroge sur sa présence dans un conflit à des milliers de kilomètres de la métropole, le Japon en fait de même autour de son travailleur humanitaire. Et ce alors qu’à Tokyo des négociations doivent s’engager entre le futur gouvernement * et l’opposition sur le renouvellement de la loi annuelle de déploiement de la force de soutien aux troupes terrestres en Afghanistan qui opère dans l’Océan Indien, et qu’à Paris l’Assemblée nationale en fera de même le 22 septembre.

Dans cette optique, le meurtre de Kazuya Ito a naturellement servi d’arguments au gouvernement nippon. Ainsi, Nobutaka Machimura, le Secrétaire du Chef de Cabinet et numéro 2 du gouvernement, lors de la conférence de presse annonçant la mort de l’humanitaire, estimait « que maintenant plus que jamais, le public japonais a senti l’importance de l’obligation d’être activement engagé dans la lutte contre le terrorisme à cause du sacrifice de précieuses vies ». Défendant la position japonaise depuis 2003.

Si l’instrumentalisation de la mort d’un travailleur humanitaire, comme de celles de 10 soldats, dans un débat portant sur un engagement militaire peut paraître malsaine, elle en est pour autant inévitable. D’autant plus inévitable qu’elle est ici symbolique de la nature du combat mené.

Kazuya Ito n’était le bras armé d’aucune puissance occupante, il était un humanitaire qui avait découvert la souffrance du peuple afghan et qui s’était depuis voué à l’aider. L’association pour laquelle il oeuvrait n’était l’instrument d’aucune politique gouvernementale, ni japonaise, ni américaine. Au contraire, ses fondateurs sont des proches du docteur Tetsu Nakamura qui depuis 1984 soigne les réfugiés aux confins du Pakistan et de l’Afghanistan et qui est connu pour s’être opposé à l’intervention américaine en 2001.

Comme l’écrivait le Yomiuri Shinbun dans son éditorial du 29 août, Kazuya Ito n’était porteur d’aucune idéologie de conquête, « travaillant dur, s’intégrant à la communauté locale, ayant construit de fortes relations de confiance avec la population ». Mais comme pour les 25 autres travailleurs humanitaires tués depuis le début de l’année, ces valeurs représentaient une menace pour les Talibans. Le développement de l’Afghanistan n’ayant jamais fait parti de leur projet politique.

Alors que faire ?

Au Japon dans le parti au pouvoir, comme aux Etats-Unis chez les Républicains ou en France dans la bouche de nombreux députés de l’UMP, le maître mot est depuis 2001 : « Guerre contre le Terrorisme ». Idéologie qui est le degré zéro de la géopolitique, confondant la méthode et l’objectif, pratiquant l’amalgame et l’approximation. Idéologie d’autant plus dangereuse qu’elle se rend incapable d’identifier clairement l’ennemi qu’elle disperse les moyens et rend toute stratégie efficace impossible. Il est donc inquiétant de voir cette expression resurgir sous la plume du ministre de la Défense.

Qui plus est une telle définition ne peut justifier le déploiement dans un pays d’une coalition de 40 pays, 75 000 hommes, d’une aviation et de plusieurs groupes aéronavals. Tout le monde sait que le contre terrorisme est affaire de renseignement et de subtilité. Mais doit-on, peut-on, pour autant rester passif et laisser l'Afghanistan à son propre sort ?

Les arguments des partisans d'un retrait de toutes les forces "alliées" sont connus : guerre pour les intérêts de l'Oncle Sam (oubliant en cela la légalité et le soutien des Nations Unis à ce conflit), guerre d'occupation contre les Afghans (omettant leur expression démocratique et le fait que de nombreux Talibans soient étrangers), bourbier et donc guerre impossible à gagner....

Non, car cette guerre est en fait, sommes toutes assez classique. Elle se fait contre une entité politico-militaire claire (les Talibans, soutenus sporadiquement par quelques nationalistes et chef de guerre pashtounes), leur idéologie (une conception nihiliste du Jihad) dans un cadre géographique restreint. Or les Talibans et leur idéologie portés au pouvoir ont montré de 1996 à 2001 leur dangerosité pour la stabilité de la région et au-delà pour l’Afrique, l’Asie centrale, jusqu’à New-York. Un retour des Talibans, c’est l’assurance d’un embrasement des pays voisins (dont la Chine avec le Xinjiang et le Pakistan nouvellement démocratique, deux puissances nucléaires), mais aussi d’une relance des réseaux jihadistes en Europe ou leur renforcement en Afrique. Alors, si nous n’appuyons pas les propos présidentiels quand il dit à Kaboul le 20 août « que ici se joue une partie de la liberté du monde » on admettra que le monde vivra beaucoup plus en sécurité avec un Afghanistan sans Taliban.

Argument qu’il est aujourd’hui difficile de contredire pour les partisans européens comme japonais d’un retrait des troupes. Opposé à la mission japonaise dans l’Océan Indien, le Asahi Shinbun s’est retrouvé embarrassé dans son éditorial du 29 août, se contentant de réclamer « un retrait temporaire de tous les personnels des régions instables » ajoutant que le Japon devait « comme nation, surmonter son chagrin et continuer à être actif. » sans appeler, ni à la reconduite, ni à l’annulation de la mission japonaise, une première. Car la position devient intenable pour les partisans, au Japon comme en France, d’un retrait au soutien militaire.

Contester la présence militaire étrangère, c’est vouloir laisser les Talibans reprendre le pouvoir à Kaboul, avec le cortège d’horreurs qu’on a déjà connu comme l’ont rappelé B. Kouchner et H. Morin dans leur tribune paru dans Le Monde du 29 août. De 1996 à 2001, «la dignité de la femme y était bafouée, les droits de l'homme inexistants, l'obscurantisme et la terreur omniprésents. Sous ce régime, les femmes n'étaient ni scolarisées ni soignées, les opposants étaient pendus dans les stades, la culture et la civilisation du pays reniées. ».

Cette guerre, elle est donc menée à la fois pour éviter un accroissement de l’instabilité mondial, mais aussi et surtout au nom d’une certaine idée du genre humain.

C’est pour cela que si avec François Bayrou nous pensons que la stratégie engagée, axée sur un effort tant militaire qu’économique, social et politique est bonne, si nous soutenons l’engagement français et pensons qu’il doit être consolidé et renforcé, nous estimons qu’il nous faut aussi, en tant que démocrates, exiger l’exemplarité dans la façon de mener cette guerre. L’exemplarité c’est pour le gouvernement et l’Etat Major s’imposer une plus grande transparence dans la gestion stratégique et tactique du conflit, accepter la critique, rendre des comptes. C’est aussi pour la diplomatie française négocier, avec l’aide des autres Européens, notre plus forte présence sur le terrain en exigeant des Américains que cessent les bombardements hasardeux de villages, la mort de civils, les emprisonnements arbitraires, l’impunité face aux détournements des aides qui in fine affaiblissent la légitimité de l’intervention et sont totalement contre productif puisque façonnent les adversaires de demain.

Alexandre Joly.

* Le cabinet Fukuda a démissionné le premier septembre mais il gère les affaires courantes en l'attente de l'élection d'un nouveau président à la tête du parti majoritaire prévu à la fin du mois. L'élu deviendra alors le nouveau chef du gouvernement.

01 avril 2008

Mensonge, mépris et autocratie

Ce mardi 12 mars va se jouer à l'Assemblée Nationale une pièce tragi-comique comme seule la cinquième République peut en scénariser : François Fillon, chef du gouvernement, viendra exposer aux parlementaires les modalités de l'envoi de nouvelles troupes françaises en Afghanistan.
La guerre en Afghanistan posant le contexte tragique, la lecture du premier ministre celle du comique.

« Qu'y a-t-il donc de si hilarant à ce qu'un dirigeant s'adresse aux représentants du peuple ? » me demanderez-vous ? Rien à priori, si ce n'est dans ce cas un magnifique triple effet comique de situation. Autrement dit une forme d'humour basée sur les paradoxes, décalages, volontaires ou non, entre la situation présentée et celle que l'on était logiquement en droit d'attendre.

Tout d'abord le lieu : l'Assemblée Nationale est le lieu où se réunissent les députés pour débattre et voter des lois. C'est sa raison d'être dans une démocratie. Or ici, nul débat et surtout nul vote n'est proposé en fin de séance sur ce qui pourtant ressemble fort à une décision politique majeure. Les députés vont se retrouver dans la posture de simples auditeurs et spectateurs d'un fait princier, d'une décision de gouvernance qui leur aura complètement échappée. Ce n'est pas la première fois dans la cinquième République, certes, c'est même constitutionnel, mais le fait est que la France est la seule « démocratie » où le Parlement n'a pas son mot à dire sur une guerre que mène le pays.
Comme l'a dit H. Emmanuelli lors de questions au gouvernement ce 26 mars : « La France est la seule démocratie occidentale où une guerre peut perdurer sans que le Parlement ne l'autorise  ou ne soit informer».

Il y a 2 000 ans, sous le Principat d'Auguste, qui n'était pourtant pas un modèle démocratique, le Sénat romain votait et entérinait encore les déclarations de guerre décidées par ce dernier. En France, en 2008, ce n'est même plus le cas.

Deuxième point comique : l'acteur principal. Mais qui est-ce, Nicolas Sarkozy ou François Fillon ? On sait que cette décision politique est une volonté présidentielle, un geste qui se veut fort pour marquer la détermination de Nicolas Sarkozy à rapprocher la France de l'OTAN et des Etats-Unis. Mais qui défend ce choix ? Le premier ministre. Situation surprenante et burlesque d'un Prince incapable de faire un plaidoyer de sa politique et qui envoie en représentation son premier ministre, lui même simple exécutant. Certes, dans les institutions le Président de la République n'a pas le droit de se présenter devant le Parlement (situation qu'avait promis de modifier Nicolas Sarkozy lors de sa campagne électorale, cette autre grand spectacle comique, et dont on attend la réforme) mais quel affront et mépris portés à la face des représentants du peuple que de les obliger à suivre la lecture par celui qui n'en est pas l'instigateur d'une décision à laquelle ils ne participeront pas !

Enfin le fond : l'envoi de troupes supplémentaires sur un théâtre de guerre. Combien de scènes de cinéma, de théâtre sont basées sur l'opposition entre le propos et l'action ? Entre ce qu'un personnage dit, promet de faire ou avoir fait et ce qu'il fait ou a réellement fait ? En un mot sur le mensonge ? Autant qu'il existe de films et de pièces comiques. Alors pourquoi ne pas rire aussi de cette déclaration de Nicolas Sarkozy durant la campagne électorale de 2007 qui prend toute sa saveur aujourd'hui ?
Dans une interview sur France 2, face à Arlette Chabot qui le questionnait sur le premier retrait des troupes spéciales opéré alors par Jacques Chirac il expliqua : « c'est une politique que je poursuivrai » la justifiant parce que « la présence des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive ». Promesse de retrait mais décision d'envoyer de troupes. C'était la boutade finale. Eclats de rire. Rideau !

La Cinquième République a toujours porté en elle les risques d'une dérive autocratique. Le mensonge comme le mépris à l'encontre du peuple et de ses représentants ne sont que les conséquences naturelles et humaines de cette dérive. Et la parodie de démocratie qui va se jouer à l'Assemblée Nationale cette après-midi n'en est qu'une énième illustration. Malheureusement nous ne sommes pas dans un film et des soldats, des civils paieront de leur vie cette décision prise sans l'accord des citoyens de ce pays. 
Il est tant que les Français prennent conscience que leur rejet progressif de la politique vient de la structure même d' institutions qui ne favorisent pas l'émergence d'une gouvernance respectueuse, morale, démocratique et où les mots justice, égalité et liberté auraient le même sens que celui qu'ils entendent.

Alexandre Joly.

Extrait de l'interview : http://www.dailymotion.com/video/x4u47q_nicolas-sarkozy-e...