09 novembre 2008
Obama vu d’Obama... et d’ailleurs au Japon
À l’instar de nombreuses villes américaines, une ville japonaise a connu l’euphorie de la victoire du candidat démocrate à l’élection présidentielle ce mercredi 5 novembre. Non pas qu’elle soit peuplée d’expatriés états-uniens ou qu’une base US y soit implantée mais sa population s’est naturellement identifiée à celui qui porte le même nom que la ville : Obama.
Les habitants de la ville d’Obama, comme plus de 65% de leurs compatriotes Japonais, se sont donc réjouis de la victoire du candidat afro-américain. Et l’homonymie n’est pas la seule raison de cet engouement. Les Japonais, comme beaucoup d’autres "obamaniaques" à travers le monde croient voire en Barak Obama un homme susceptible d’apporter la paix, de rassembler les peuples et de trouver des solutions au désordre économique et financier. Ce que résumait Yuichi Matsumoto, un commerçant de 69 ans du port d’Obama à l’AFP : « Je pense qu’il va faire beaucoup de bonnes choses, comme mettre fin à la guerre en Irak et trouver une solution à la crise économique » . La symbolique Obama a donc aussi imprégné la population japonaise tout autant que celles d’Europe, d’Amérique du Nord ou d’Afrique.
Mais qu’en est-il des élites et particulièrement du pouvoir politique ?
Contrairement notamment à la France, où Nicolas Sarkozy s’est béatement félicité de la victoire de son « copain », le Premier ministre japonais Taro Aso a félicité le candidat pour sa victoire, se bornant à rappeler « les relations que cultivent les deux parties depuis plus de 50 ans ». Plus tard, devant la presse il a affirmé qu’il « s’attachera à renforcer l’alliance nippo américaine et à résoudre les différents challenges auxquels doit faire face la communauté internationale : l’économie, le terrorisme et l’environnement ». On a connu commentaires plus chaleureux !
Car ces propos diplomatiques cachent en réalité fort mal la perplexité des autorités japonaises face au nouvel arrivant à la Maison Blanche. Des déclarations de responsables du parti au pouvoir, le Jimintō, à l’agence de presse Kyodo montrent une certaine anxiété du pouvoir. Ainsi, Tadamori Oshima, responsable des relations avec le Parlement pour le parti a déclaré qu’il n’avait pas « encore d’idées claires sur les bases de sa politique étrangère ». Hajime Funada, président du Conseil Général du parti, soulignait lui qu’il ne savait pas « ce que sera la politique envers la Corée du Nord » de Barak Obama.
En effet, le sujet des relations avec l’Asie a été complètement absent de la campagne électorale. Alors si John Mac Caïn incarnait la continuité et donc rassurait, la politique asiatique de Barak Obama est un grand saut dans l’inconnue et inquiète. Inquiétude basée sur quelques propos de campagne et renforcée par quelques signes post électoraux.
Il faut dire que les relations entre le Japon et les Etats-Unis sont parmi les plus développées du monde entre deux grandes puissances et que les dossiers « chauds » sont nombreux. On citera les accords commerciaux, le redéploiement des bases américaines au Japon, la relation avec la Corée du Nord, ou encore le soutien japonais à la guerre en Afghanistan...
Ainsi, au chapitre économique, la rumeur de la nomination de Lawrence Summers, l’ancien Secrétaire au Trésor de Bill Clinton, à un poste central dans la nouvelle administration ne ravive pas de bons souvenirs chez les Japonais. Celui-ci s’en prenait en effet régulièrement au Japon alors en crise, sommant à plusieurs reprises Tokyo d’effectuer des réformes économiques, de « booster » la demande intérieure et d’assumer sa place de leader économique. Attitudes jugées insultantes à l’époque et au cœur d’une période de fictions entre les deux pays.
Surtout, même si les analystes nippons parient sur une politique de dollar fort de la part de Barak Obama, ce qui arrangerait les exportations japonaises, l’inquiétude est forte que celui-ci ne soit tentée de satisfaire un pilier de sa base électorale, les syndicats du secteur industriel, et n’applique alors une politique plus protectionniste dont pâtirait les industries japonaises, notamment un secteur automobile déjà bien en crise. Le journal Yomiuri du 6 novembre dit ainsi craindre que pour «le parti Démocrate, qui tire sa force des syndicats, et qui sort renforcé des élections dans les deux chambres du Congrès de mardi, il serait facile d’appliquer la bonne vieille méthode du protectionnisme. »
En matière agricole, la crainte vient de propos de campagne dans lesquels l’ancien sénateur de l’Illinois affirmait vouloir « presser plus fortement » la Corée du Sud et le Japon à accepter les critères sanitaires américains pour accroître l’exportation de bœuf made in america. Sujet plus politique que vraiment économique, mais toutefois ultra sensible pour le gouvernement japonais à un moment ou les scandales sanitaires se succèdent sur les produits alimentaires.
L’ambassadeur américain à Tōkyō a bien tenté de rassurer le gouvernement japonais en déclarant à juste titre que « Démocrates et Républicains croient depuis la guerre que la sécurité des Etats-Unis dépend d’une bonne et prospère alliance avec le Japon », le scepticisme reste de mise. Et comme le note le Asahi Shinbun dans son éditorial du 7 novembre, deux dossiers en particulier risquent de poser problème : « le soutien qu’apporte le Japon à la guerre mené par G. W. Bush contre le terrorisme en Afghanistan, et la coopération dans la façon de traiter avec la Corée du Nord ».
Sur le sujet afghan, le programme de Barak Obama qui est non seulement de renforcer l’action des troupes américaines sur place mais aussi de demander aux alliés d’en faire de même n’est pas en conflit avec la vision du gouvernement mais renvoie à un sujet qui est une épine pour le cabinet Aso. La Japon qui soutient l’action internationale par un appui logistique dans l’Océan Indien sera sollicité par Barak Obama. Or le gouvernement en place n’est pas du tout sûr de recevoir l’aval du parlement pour prolonger la mission en cours vu que la Chambre Haute est aux mains de l’opposition qui y est opposée. Et qui est en cela appuyée par la majorité des Japonais. Or un renouvellement de la mission japonaise ne serait que le strict minimum pour satisfaire Washington et beaucoup craignent que comme en 1991 lors de la guerre du Golfe une contribution financière ne soit aussi réclamée. Ce qui aux vues des finances du pays serait un coup d’arrêt à toute politique de relance ou de sauvetage des déficits. Sur ce sujet Taro Aso n’a donc comme choix que se fâcher avec les Américains ou avec son opinion publique. Sachant que la prochaine échéance électorale est dans moins de 10 mois.
Second sujet très sensible : la Corée du Nord. Si pour le monde entier le problème coréen se résume à la menace nucléaire, pour les Japonais il se double d’une affaire émotionnelle et politiquement sensible, à savoir celles des personnes enlevées par le régime communiste dans les années 70 et 80. Même si Tōkyō s’est montré irrité cet été par le retrait par Washington de la Corée du Nord de la liste des états terroristes, G. W. Bush avait pris soin de rassurer directement les familles japonaises touchées de son appui et de sa volonté de résoudre aussi ce problème. Mais qu’en sera-t-il avec Barak Obama ? La Asahi, citant un responsable du ministère des affaires étrangères pense que : « le problème des personnes enlevées sera délaissé si Washington et Pyongyang engagent des discussions plus proches. ». Ce qui isolerait le Japon et son Premier ministre, ce dernier étant "condamné" par l'opinion publique, son parti et son image de faucon à adopter une position intransigeante sur le sujet.
L’élection de Barak Obama est-elle pour autant une mauvaise nouvelle pour Tōkyō ?
Pas forcément. Un point positif pour le pays selon les analystes tient dans la vision plus participative et multilatérale du monde qu’a le nouveau président américain. Ainsi que dans la nécessité qui lui est faite de travailler de concert avec ses partenaires et alliés pour résoudre les problèmes internationaux actuels. Dans cette nouvelle donne internationale, le pays du soleil levant a toute sa place. Ainsi le Asahi Shinbun souhaite que le Japon fasse entendre « ses idées et agisse » car « le monde selon Obama offre au Japon une opportunité idéal d’afficher sa puissance diplomatique. » .
Alexandre Joly.
11:42 Publié dans News du Japon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : obama, japon
27 juillet 2008
Obama en Europe : le sacre de Merkel
Rarement, l’emploi du temps d’un candidat à la Présidentielle américaine en visite en Europe n’a suscité autant de commentaires que celui entrepris par Barack Obama ces deux derniers jours.
Et dire qu’à Paris et Londres ceux-ci furent amers est un doux euphémisme. Car en diplomatie, les symboles, aussi infimes qu’ils puissent paraître, sont souvent lourds de sous-entendus.
Ainsi, en passant une journée complète en Allemagne, en y tenant un meeting devant 200 000 Berlinois, en rencontrant plusieurs membres du gouvernement, le candidat démocrate a conféré à l’Allemagne et à sa Chancelière un poids politique que par voie de conséquence il a dénié aux autres.
Or cette importance accordée à l’Allemagne d’A. Merkel au détriment de l’Angleterre de G. Brown et de la France de N. Sarkozy, n’est autre que la reconnaissancee de sa prédominance sur l’Europe.
Si l’économie allemande surclasse depuis quelques décennies ses concurrentes européennes, son poids politique sur la scène internationale demeurait en retrait. Exclue de la permanence du Conseil de Sécurité des Nations Unies au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dénuée de zone d’influence privilégiée, puissance militaire émasculée par son impossibilité (aujourd’hui levée) de déployer des troupes sur des théâtres extérieurs et surtout sa non nucléarisation, elle devait laisser à la France et à l’Angleterre les rôles principaux de puissance diplomatique.
Or malgré la pérennisation de ces handicaps, malgré le fait que la France préside depuis le premier juillet l’Union Européenne, malgré un pro américanisme affirmé et la volonté affichée par N. Sarkozy de vouloir rejoindre le commandement unifié de l’OTAN, et bien que le président dise être son «copain » (un de plus ! mais quand arrêtera-t-il donc ces déclarations infantiles !), c’est à l’Allemagne que Barack Obama a accordé toute son attention, et non à Londres ou Paris.
On pourra toujours arguer que ce genre de remarques ne sont que des crises de franchouillardises mal placées, qu’il n’y a pas réellement de symbole derrière tout cela, ou au contraire que c’est un plan com’ pour rappeler à l’Amérique les grandes heures de Kennedy ou Reagan, quand ce n’est pas lié à l’image de la France aux Etats-Unis….
Il n’empêche. La victoire médiatique d’Angela Merkel ne vient que confirmer sa prédominance actuelle sur l’Europe et l’effacement de la France et de l’Angleterre. Car ce qu’aujourd’hui la chancelière veut, ou ne veut pas, elle l’obtient .
Les déboires connus par l’Union Pour la Méditerranée en furent un exemple frappant : Nicolas Sarkozy et Henri Guaino, le principal instigateur du projet, souhaitaient la création d’une structure indépendante de celle de l’Europe, dans laquelle, les seuls pays méditerranéens auraient un droit égal au chapitre au travers de relations diplomatiques renouvelées : belle idée qui avait le triple avantage de revigorer les échanges inter méditerranéens, présenter une alternative à un éventuel choc Nord-Sud, et renforcer le rôle de la France dans l’espace méditerranéen.
Mais une telle structure qui excluait les pays européens non méditerranéennes était jugée par l’Allemagne comme une menace pour sa propre diplomatie. Le gouvernement d’ Angela Merkel déploya donc une politique étrangère concurrente et double, l’une à destination de la France et une autre vis-à-vis des pays méditerranéens à fin de vider le projet français de son contenu. Et cela avec la réussite qu’on connaît : intégration de l’U.P.M dans le processus mortifère euro-méditerranéen de Barcelone, incorporation de tous les pays européens, maintien d’un type d’échange / assistance « à l’ancienne » Nord Sud qui provoqua la colère de Khadafi… bref une victoire diplomatique allemande sur toute la ligne.
La puissance d’Angela Merkel a des répercussions pragmatiques. Celle-ci peut en effet se permettre de traiter d’égal à égal avec les dirigeants les plus puissants du globe et leur dire leur quatre vérités . Ainsi Madame Merkel n’a pas eu à s’humilier en saluant l’élection truquée de Vladimir Poutine et elle a pu annoncer qu’elle n’irait pas aux cérémonies d’ouverture des JO sans que cela n’entraîne de manifestations anti-allemandes dans les rues de Pékin. L’Allemagne sait aujourd’hui imposer le respect, la France non.
S’il serait stupide de faire remonter le déclin diplomatique de la France à mai 2007 et malhonnête d’expliquer la renaissance de l’Allemagne par le seul effet de la politique de Nicolas Sarkozy, il est incontestable que ses alignements non négociés (Etats-Unis), ses revirements (Syrie), précipitations (Constitution européenne), ultimatums bidons (Chine, Iran) autocritiques quant aux grandes déclarations regardant le respect des droits de l’homme (Tunisie, Libye) n’ont pu qu’aggraver et amplifier l’affaiblissement de la puissance diplomatique française.
Comme l’ont bien analysé les conseillers diplomatiques de Barack Obama.
Alexandre Joly.
03:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : obama, sarkozy, merkel, france, élections us