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07 mars 2007

Tout comme la France, le Japon a du mal à appréhender son histoire

Au Japon, le problème se pose en des termes différents mais les débats engendrés ont la même porté que ceux qui agitent la France. Ici, il n'est pas vraiment question de repentance nationale ou de "lois mémorielles". La question centrale est celle de la responsabilité du Japon pendant la deuxième guerre mondial du comportement de ses troupes dans les pays qu'il a occupé et par conséquence de ses relations avec ses voisins.

Le 1er mars 2007, Shinzo Abe, premier ministre du Japon, a déclaré que, selon lui, "il n'y a pas de preuves de prostitution forcée" de dizaines de milliers de femmes dans les pays occupés par les troupes japonaises pendant la guerre. Suite à cette déclaration, la Corée du Sud a réagi immédiatement par la voix de son ministre des affaires étrangères, Song Min-soon, qui a notamment déclaré que ce type de propos n'était "pas utiles" et qu'il fallait reconnaître la vérité. Des organisations philippines ont également dénoncé les propos du premier ministre japonais. Une victime de cet "esclavagisme sexuel", Hilaria Bustamante, une Philippine de 81 ans abusée sexuellement pendant un an à l'âge de 16 ans dans une garnison japonaise en 1942. a déclaré : "ce qu'il (Abe) a dit me met en colère. Ils (les dirigeants japonais) pensent que nous sommes juste du papier toilette que l'on peut jeter après utilisation." Suite à ces différentes réactions négatives, Shinzo Abe a chercher à minimiser ses propos en déclarant qu'il s'en tenait toujours à la déclaration de Yohei Kono, porte-parole du gouverment de l'époque, en 1993 qui s'était excusé au nom du Japon pour la prostitution forcée et pour l'implication du gouvernement militaire dans certains cas. Il est à noter que le premier ministre n'a pas repris les mots de cette déclaration mais y a seulement fait référence. Il a également dit qu'il y avait plusieurs définitions du mot "forcé". Depuis la déclaration Kono, Le Japon a mis en place un fond d'indemnisation des victimes de cette prostitution forcée (en 1995) mais ce fond est financé par des dons privés et non par l'Etat. Pour les victimes, cela signifie que le Japon ne reconnaît pas encore vraiment ce crime d'autant plus que la diète japonaise n'a jamais officiellement approuvé cette déclaration. Pourtant, nombre d'historiens ont mis en relief la prostitution forcée et à grande échelle de femmes asiatiques dans les régions occupées par l'armée impériale. Ils estiment qu'environ 200 000 femmes en ont été victimes. Ceci a été corroboré par de nombreux témoignages de victimes, de témoins mais aussi d'anciens soldats japonais (voir cet article du Japan Times pour plus de détails).
Depuis sa nomination au poste de premier ministre, monsieur Abe avait pourtant cherché à resserrer les liens diplomatiques avec les pays voisins et notamment en évitant de provoquer ces derniers par des déclarations ou des actes ambigus à la différence de son prédécesseur, Junichiro Koizumi.

Comment expliquer de telles déclarations ? Il y a plusieurs explications plausibles à celles-ci.
La première est que le fond d'indemnisation des victimes sera démantelé le 31 mars 2007 après 12 ans d'existence. Seulement 360 femmes auront bénéficié de compensations financières (voir l'article en anglais du Japan Times à ce propos).
En outre, des élections se profilent et la cote de monsieur Abe est au plus bas. Il cherche sans doute à s'attirer les voix du camps le plus conservateur de l'opinion publique japonaise.
Mais au delà de cet opportunisme électoral, il faut rappeler que monsieur Abe est le petit-fils d'un ancien Ministre du Commerce et de l'Industrie du gouvernement militaire, Nobusuke Kishi qui fut arrêté comme possible criminel de guerre avant d'être relâché sans jugement par les Américains. Il fut ensuite premier ministre du Japon, respectivement du 25 février 1957 au 12 juin 1958 et du 12 juin 1958 au 19 juillet 1960. On peut donc penser qu'il y a une part d'éducation familiale dans la posture adoptée par Shinzo Abe. Il faut ajouter que monsieur Abe a longtemps été proche d'un groupe de 130 députés du PLD (parti conservateur dominant) dirigé par Nariaki Nakayama et qui s'est arrangé pour ôter toute référence à la prostitution forcée dans la plupart des manuels d'histoires des collèges. En effet, Nariaki Nakayama fut ministre de l'éducation de septembre 2005 à octobre 2006 ! Shinzo Abe, tout comme Nariaki Nakayama, a aussi appelé à l'annulation de la déclaration de Kono (1993) avant d'occuper des postes officiels notamment dans le gouvernement de Junichiro Koizumi.
Mais ce qui me paraît important, c'est qu'au-delà de la personnalité du premier ministre japonais, beaucoup de Japonais partagent cette vision de l'histoire soit par méconnaissance historique soit consciemment. Il n'y a pas eu la même pression morale sur le Japon que celle qu'à connu l'Allemagne. De plus, le fait que ce pays fut le seul à être victime de l'arme atomique a fait que les Japonais se sentent souvent plus victimes que responsables des événements. Il ne faut toutefois pas trop noircir le tableau et voir que la société japonaise a évolué et continue à le faire. Cependant, l'enseignement de l'histoire reste un grand chantier et on peut rappeler que la France a eu (et a encore) beaucoup de mal à accepter ce que furent réellement Vichy ou la guerre d'Algérie. Le fait que le congrès américain puisse voter une résolution voulant obliger le Japon à s'excuser pour avoir instaurer un système de prostitution forcée pendant la guerre ne va peut-être pas aider le travail de mémoire des Japonais. Au lieu d'une ingérence politique, il vaudrait mieux que des historiens étrangers fassent des recherches et publient leurs travaux dans le pays concerné à l'image de ce que Robert Paxton a fait sur Vichy.
 
Hervé Tisserand

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