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25 mai 2008

Liban : leçon de diplomatie à Doha

Ce dimanche, le coeur de Beyrouth va retrouver son calme politique , sa ferveur commerciale et le Liban élire un nouveau président. Après plus de 18 mois d'un bras de fer politique dont les violences meurtrières de la semaine dernière furent l'aboutissement, l'opposition et la coalition au pouvoir, sous la houlette de parrains régionaux, sont parvenus à un accord qui permet de sortir le pays de l'impasse politique dans laquelle il était plongé.

Il n'est pas question ici de faire une analyse des conséquences libano-libanaises de cet heureux dénouement , mais de s'interroger quant au fond et la forme de l'engagement ainsi que sur les résultats obtenus par chacune des puissances agissant au pays du Cédre. Et tout particulièrement les Etats-Unis et la France.

Car si, à Paris, le Président Sarkozy s'est dit "particulièrement heureux de l'accord intervenu (...) à Doha entre les représentants des principales forces politiques libanaises, conclu sous l'égide du Qatar et de la ligue arabe" faisant écho aux propos de Condolezza Rice, le résultat est en fait un terrible échec de la politique américano-française et un désaveu criant de leur méthode.

Echec, voir défaite, car le grand vainqueur de la crise est incontestablement l'opposition et plus spécialement le Hezbollah. Non seulement le parti est parvenu à faire annuler les 2 dispositions du gouvernement qui sont à l'origine des violences (limogeage du chef de la Sécurité de l'aéroport de Beyrouth, gel du développement des réseaux de téléphonie interne au parti) mais il est aussi parvenu à imposer ses vues quand au règlement de la crise que vit le pays depuis Novembre 2006 : le cabinet Siniora va tomber, l'opposition va intégrer le nouveau gouvernement avec une minorité de blocage et un candidat de consensus va être élu président.

C'est donc un revers patent pour les Etats-Unis et la France qui n'ont eu de cesse de clamer leur soutien inconditionnel à la majorité au pouvoir et de dénoncer le Hezbollah et l'opposition comme forces anticonstitutionnelles et au service de puissances étrangères qu'il faudrait affaiblir et écarter de la vie politique libanaise.

Mais cet échec vient aussi sanctionner un réalité : l'affaiblissement de la France au Liban.

La France, qui a toujours eu un rôle majeur au Liban, ou tout au moins était un interlocuteur particulier pour les différentes parties, a perdu son statut depuis plus de deux ans quand elle a choisi de s'aligner sur les positions américaines et saoudiennes concernant le Proche-Orient. A l'initiative de Jacques Chirac, la France s'était débarrassée de ses habits de conciliateur et de modérateur pour celui de partie prenante et partiale. Suivant l'administration Bush, elle a soutenu vaille que vaille le cabinet Siniora et la majorité rassemblée autour du Courant du Futur de la famille Hariri. Nicolas Sarkozy, une fois parvenu au pouvoir a poursuivi cette politique qui avait l'avantage d'être en parfaite harmonie avec sa position atlantiste et sa volonté de se rapprocher encore un peu plus des Etats-Unis..

Cet alignement sur les vues américaines s'est aussi doublée de la mise en application des méthodes U.S, à savoir le refus de tout contact avec des membres de l'un des 2 camps. Contrairement à la diplomatie qatari qui a fait la navette entre toutes les parties. C'est par cette volonté d'ignorer ses « ennemis » qu'il faut expliquer l'échec des missions de Bernard Kouchner, qui pendant plus de 6 mois a tenté vainement de réconcilier les différentes factions libanaises et qui s'est vu, selon le journal libanais L'Orient-Le Jour du 24 mai, être pendant cette période « roulé dans la farine par les Libanais, ou du moins par une partie d'entre eux ».

Car l'exercice était bien évidemment voué à l'échec. En effet, comment prétendre vouloir trouver un accord juste et équitable, et comment passer pour un interlocuteur honnête quand on se range si clairement dans un camp ? Enfin, comment pouvait-on espérer parvenir à un accord en s'abstenant de rencontrer le Hezbollah, ou en ignorant la Syrie et l'Iran ?

Les relations avec ces deux pays, et notamment la Syrie, parlons-en justement. Grand écart, pour ne pas dire incapacité à choisir une ligne claire entre l'alignement sur la position frontale américaine et la nécessaire prise en compte de la réalité du terrain, plus conforme à la tradition diplomatique française, les décisions du «président Nicolas Sarkozy de renouer les contacts « de haut niveau » avec la Syrie, avant de les suspendre de nouveau à la fin de l’année, prise sans coordination avec le ministre des Affaires étrangères, a provoqué « un dysfonctionnement de la diplomatie française », selon Antoine Basbous que cite le journal libanais.

Dysfonctionnement basé sur une ineptie, pour ne pas dire une « abracadabrantesque » conception de la diplomatie : le refus d'avoir des contacts avec ses « ennemis ». Suivant ainsi l'idée répendue chez les conservateurs (plus ou moins « néo ») ou les « faucons » des pays occidentaux, selon laquelle une démocratie doit choisir ses interlocuteurs, Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy ont refusé d'avoir des contacts directs avec des partis politiques tel que le Hamas ou le Hezbollah, quand ce ne sont pas avec des pays, comme la Syrie.

Cette conception moralisatrice est soit le fruit d'une hypocrite et criminelle conception des relations internationales, pour laquelle les conflits ne peuvent se régler que sur le champ de bataille, avec anéantissement de l'un des protagonistes, soit le fruit d'une irresponsable naïveté et d'une grande méconnaissance de la chose diplomatique. Car qu'est-ce que la diplomatie, sinon la rencontre de puissances différentes, opposées et parfois ennemies qui cherchent à régler un conflit autrement que par la destruction de l'une des parties ?

Hubert Védrine a parfaitement résumé cela lors d'un « chat » avec des lecteurs du journal Le Monde le 20 mai en rappelant « que la diplomatie a été inventée à l'aube de l'histoire pour traiter les problèmes autrement que par la guerre.  La diplomatie ne consiste pas à se réunir avec des amis dont on partage les valeurs et à se congratuler, la diplomatie peut consister à parler avec des dirigeants ou des régimes qu'on estime horribles et dont on rejette catégoriquement toutes les valeurs, et il en a toujours été ainsi. »

Avec la fumeuse « guerre au terrorisme », la diabolisation de ses adversaires/opposants a pour objectif de réduire au maximum la grille de lecture des problèmes internationaux, pour la résumer à un affrontement binaire du bien contre le mal, notre camp contre le leur, et dans lequel seule la mise à mort de son adversaire peut résoudre le problème. Ce paradigme n'a malheureusement pour conséquence que la perpétuation des conflits et le développement d'états de guerre plus ou moins chaud.

Aux Etats-Unis, le sénateur et candidat Barrack Obama a clairement opté pour l'abandon de cette ligne et pour l'adoption d'une politique réaliste. Espérons que s'il est élu, par suivisme, la politique extérieure de Nicolas Sarkozy s'en verra elle même changée. Et l'image de la France de redorer dans un Liban en paix.

Alexandre Joly

14 mai 2008

Interview au blog du démocrate

Je retranscris ci-après, l'intégralité d'un questionnaire que nous a fait parvenir le blog du démocrate en début de mois. 

 * * *

 - Quelle est l'image générale du mouvement démocrate parmi les français résidant du Japon, de Tokyo ? Quelles sont les réactions des japonais curieux de vos actions et démarches ?

Alexandre Joly : L'image du Modem parmi la communauté française au Japon est similaire à celle des Français de l'hexagone. Cela va de la sympathie et la communion de valeurs ou d'idée, à la critique habituelle des partisans du bipartisme selon lesquels nous n'avons pas d'idée ou de programme et que nous sommes indécis.

Ceci dit, les bons résultats de François Bayrou lors du premier tour de la présidentielle de l'an dernier sur le Japon, où il a terminé second avec un résultat supérieur à 23% dans chacun des deux bureaux de vote de l'archipel, tendent à démontrer que son message passe bien dans la communauté.

Pour ce qui est de l'attitude des Japonais concernant le Modem, elle à l'image de celle qu'ils ont pour la politique française en général: un desintérêt poli. Si les grands médias ont traité de la campagne de 2007, c'était plus pour mettre en valeur le fait qu'une femme avait des chances d'être élue que sur le contenu des programmes.

Hervé Tisserand : Les Japonais ne connaissent guère la situation politique française. Nicolas Sarkozy est bien évidemment connu mais c'est pratiquement le seul leader politique français actuel à l'être.

De l'élection présidentielle, les médias japonais n'ont retenu que l'affrontement Sarkozy-Royal. Malheureusement, François Bayrou et le Modem ne sont guère connus en dehors de quelques cercles francophiles et de spécialistes. Cependant, on peut considérer qu'il en va de même pour les Français concernant ce qui se passe au Japon.

Quant aux Français résidant au Japon, le regard qu'ils portent sur le Modem est semblable à celui des Français de France comme l'a bien dit Alexandre. Ce qui est inquiétant, c'est le peu d'intérêt pour les programmes d'où une méconnaissance de ceux-ci et de ce qu'ils impliquent malgré le fait qu'ils soient souvent disponibles sur le net. Cela peut expliquer le désenchantement de certains qui avaient voté pour Nicolas Sarkozy.

- Quelles sont les initiatives originales prises par l'antenne d'Osaka dont vous êtes le plus fiers ?

 A. J. : Incontestablement notre blog. Nous avons été les précurseurs au Japon dans la blogosphère des mouvements politiques français à en créer un. Si bien que des sympathisans locaux de l'UMP ont découvert notre site et se sont empressés d'en organiser un pour soutenir leur candidat dans les semaines qui suivirent.

H. T. : Je confirme que notre blog est ce dont nous sommes le plus fier. Il a permis de diffuser les idées du Mouvement Démocrate au sein de la communauté francophone du Japon. Il a également permis de donner des informations importantes à cette même communauté concernant la vie au Japon.

- Quelle sont les spécificités de l'antenne modem d'Osaka ?

A. J. : D'être à Osaka et non à Tokyo, la capitale du pays. C'est un concours de circonstance qui résultait de l'existence d'une forte concentration de jeunes Français dans une entreprise japonaise sur Osaka et qui a donc amener à des échanges de point de vue politique et au rassemblement de certains sympathisants du modem.

Cela tient aussi à la structure sociologique de la répartition géographique des ressortissants français au Japon. Dans la région d'Osaka/Kyoto, le Kansai, nombreux sont les universitaires, professeurs et artistes. Cela s'est ressenti lors du premier tour où S. Royal a fini en tête et F. Bayrou deuxième. Inversement, à Tokyo les cadres d'entreprise, les entrepreneurs sont majoritaires et N. Sarkozy a fini en tête, juste devant F. Bayrou.

H. T. : Comme l'a bien remarqué Alexandre, les Français du Kansai (la région d'Osaka et de Kobe) diffèrent sensiblement de ceux du Kanto (la région de Tokyo). Ici, la population française est sans doute plus jeune et un peu moins liée aux grandes entreprises françaises.

- Quelles sont les attentes des français de l'étranger pour participer à la vie du mouvement ? Quelles seraient vos suggestions ?

A. J. : Les Français de l'étranger ne sont pas un groupe homogène, il y a différents types d'émigrès et donc différents types d'attentes. Aux deux extrêmes, vous avez tout d'abord l'expatrié, envoyé pas sa société pour une mission à moyen terme, dont les préoccupations sont de l'ordre du pratique et de l'instantané (école pour les enfants, côtisations retraite, impôts...) et puis vous avez l'émigré intégrationniste, qui travaille dans une société japonaise, a un conjoint japonais qui ne sait pas s'il va rentrer un jour et dont les attentes politiques seront plus idéologiques et globalisantes (image de la France, relations avec le pays en question, politique sur la double-nationalité...)

Un parti politique moderne devrait avoir une fédération regroupant des membres qui incarneraient ces différentes tendances.

H. T. : Beaucoup de résidants regrettent leur manque de représentativité à l'assemblée nationale. Il est difficile de faire entendre la voix des Français vivant à l'étranger alors que nous sommes de plus en plus nombreux. François Bayrou et le Modem envisagent d'importantes réformes concernant la décentralisation. Il faudrait que certains de ces projets concernent ceux ne résidant pas ou plus sur le sol français et notamment leur représentativité politique et leur participation à la vie nationale.

Nous pouvons apporter beaucoup de choses et notamment un regard sur la France plus distant. Nous pouvons également faire savoir comment ça se passe ailleurs - certaines idées sont bonnes à prendre. On éviterait ainsi les débats trop franco-français.

- Le potentiel d'internet est souvent mis en valeur pour l'animation interne des mouvement politiques, notamment à l'étranger. Quelles vertus lui accordez-vous réellement ?

A. J. : Pour les Français de l'étranger, Internet a révolutionné notre relation avec la métropole en général et le suivi de la politique française en particulier. Pour avoir vécu deux campagnes présidentielles depuis le Japon (2002 et 2007), je peux vous affirmer que la seconde a été vécu comme l'ont vécu des millions de nos concitoyens alors que la première n'a été qu'un lointain cauchemard.

Cette différence se voit tout d'abord dans la capacité et la rapidité d'accés aux programmes politiques, aux informations générales et au débat public qu'offre l'Internet. Les blogs et surtout les sites d'information des journaux, TV, radio accessibles online sont des moyens de s'informer en temps réel, quand il fallait attendre une semaine au par avant pour avoir les journaux par courrier.

Ensuite, Internet est un moyen très efficace pour « atteindre » les gens et débattre avec eux. Les forums et sessions de « chat » sont notament de très bons vecteurs pour lier les différents membres de la commuanuté française.

Car il ne faut pas oublier une chose, c'est que nos concitoyens sont isolés quand ils vivent à l'étranger. Imaginez que sur un archipel comme celui du Japon il n'y a que 2 bureaux de vote à Tokyo et Osaka, qui correspondent aux deux grandes concentrations de ressortissants français, et des centaines de nos concitoyens vivent à des heures de transport de celles-ci.

H. T. : Internet permet à toute personne éloignée du sol national de garder un contact direct avec son pays: Il est possible de suivre l'actualité au jour le jour et de savoir où en est le pays.

Pour les personnes vivant dans un pays étranger, cela permet d'établir des contacts et de former des communautés dans lesquelles on peut discuter voire débattre.

Internet est aussi un moyen de partager des expériences et des ressources. Les mouvements politiques devraient plus utiliser ce vecteur pour communiquer avec leurs adhérents et leurs sympathisants et pas seulement lors des grandes échéances électorales. Je ne crois pas trop, pour des raisons de cohérence et de faisabilité, à l'idée de la démocratie participative telle que la conçoit Ségolène Royal mais il n'empêche que les discussions, qu'elles aient lieu dans une salle ou sur internet, peuvent permettre d'enrichir le débat politique.

-  A quelles consultations du mouvement démocrate souhaiteriez-vous être associer ?

A. J. : Aujourd'hui, comme jamais dans l'histoire de notre pays, de nombreux Français s'expatrient et émigrent plus ou moins longtemps. Nous entrons dans une ère d'hyper-nomadisme pour reprendre les termes de Jacques Attali dans sa « Bréve histoire du futur » et un parti politique moderne doit pouvoir capter ces Français nomades en les intégrant pleinement à ses structures.

Des fédérations des Français de l'Etranger d'Asie, d'Amérique ou d'Afrique, en fonction de leur nombre devraient être créées et ses membres avoir les mêmes possibilités d'agir sur le parti que les membre de la fédération du Gers ou celle de Paris...

De même que les institutions de la République devraient mieux prendre en compte les ressortissants français de l'étranger. Mais ceci est une autre histoire.

Ensuite, en tant que blog de sympathisants du Modem, nous aimerions aussi avoir un interlocuteur privilégié à l'intérieur de celui-ci qui répondrait à nos questions, qu'elles soient d'ordre politique ou juridique.

Aujourd'hui, la révolution Internet dont nous parlions précédemment permet d'abattre toutes les difficultés matériels,comme l'éloignement, pour les mettre en place.

H.T. : De nos jours, de plus en plus de Français vivent à l'étranger. La mondialisation fait que les pays sont de plus en plus interdépendants et en même temps et chacun d'entre eux cherche à profiter au maximum de ce mouvement. Je pense qu'un parti politique tel que le Mouvement Démocrate a besoin d'une structure permettant à ses adhérents et à ses sympathisants de faire connaître leurs expériences. Les experts ne suffisent pas. Les Français de l'étranger peuvent montrer comment on vit dans d'autres pays et mettre en lumière les avantages et les inconvénients de ces derniers.

- Quels sont vos perspectives et objectifs pour 2008-2009 ?

A. J. : Les blogs comme le nôtre ont un pic d'activité lors des campagnes électorales. Les prochaines échéances seront donc européennes, même si les Français de l'étranger ne sont pas conviés à s'exprimer sur cette élection importante comme sur tant d'autres, comme les Législatives.

D'ici là nous continuerons à nous concentrer sur les trois objectifs de notre blog : Participer au débat politique par la publication de points de vue et de commentaires, informer sur la vie au Japon et surtout tenter de rassembler autour de la diffusion des valeurs démocrates.

H. T. J'espère que nous pourrons mieux faire connaître l'actualité japonaise aux Français – le Japon est quand même la deuxième puissance économique du globe.

J'espère également que des Japonais accepteront d'intervenir directement sur notre site afin de diversifier les points de vue.

- Un dernier mot ?

A. J. : La démocratie et ses valeurs sont aujourd'hui mises à mal dans de nombreux pays par une substitution du principe de raison à celui de passion. De chacun de ces deux principes découlent pourtant deux façons radicalement opposées de s'adresser au peuple souverain et d'obtenir ses suffrages : c'est la voix du démagogue contre celle du démocrate.

C'est cette dernière que notre blog entend porter.

H. T. : Nous sommes dans une situation où nous avons l'impression de prêcher dans le désert. Quand on souhaite débattre sur le fond, on nous oppose une politique de communication, quand les gens veulent parler d'un sujet important, on préfère donner la parole aux experts qui sont souvent coupés de certaines réalités, quand il faudrait réfléchir à certaines questions à tête reposée, on est convié à réagir vite et en fonction de notre émotion du moment, etc. Il ne faut pas désarmer mais continuer à faire part de nos convictions.

 

06:33 Publié dans News du Japon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : modem, japon, blogs

07 mai 2008

Nous et la Chine

Il serait plus que temps de se poser des questions concernant nos relations et celles des pays démocratiques avec la Chine.
La question tibétaine est revenue sur le devant de l'actualité, les jeux olympiques de Pékin auront lieu dans moins de cent jours, la politique étrangère de la Chine que ce soit en Afrique (Soudan, Zimbabwee, etc) ou en Asie (Birmanie, Iran, Corée du Nord, etc) pose question. A cela s'ajoute le poids économique toujours plus grand de ce pays et le fait que la Chine a été et est toujours un centre culturel et historique d'importance. Ce pays a beaucoup influencé l'histoire de l'humanité ce qu'il va sans doute continuer à faire.
 
 
La question des jeux olympiques.

Beaucoup de gens ne souhaitent pas un véritable boycott des jeux olympiques en arguant d'une invraisemblable séparation entre sport et politique. Plusieurs points s'opposent à une telle attitude.
Tout d'abord, le Comité International Olympique s'enorgueillit de promouvoir les valeurs de l'olympisme moderne (fraternité des hommes quelque soit leur origine, respect de la condition humaine, etc) et mit même clairement en avant de la défense des droits de l'homme lors du choix de Pékin en 2002. Ce sont des valeurs politiques et non des valeurs propres au sport. De plus, et paradoxalement, le comité olympique arrive trop souvent et trop facilement à faire abstraction de la situation politique de certains pays choisis pour organiser les jeux. Les exemples sont nombreux et les plus marquants sont Berlin en 1936, Mexico en 1968, Moscou en 1980 et maintenant Pékin. Tout le monde sait bien que les pays organisateurs essaient toujours d'utiliser l'organisation des jeux comme une vitrine de leur modèle social et économique. C'est d'autant plus vrai et important pour les pays peu ou pas du tout démocratiques. Les enjeux financiers sont énormes et les multinationales qui sponsorisent les jeux olympiques feront tout ce qu'elles peuvent pour éviter un boycott des jeux par les nations mais aussi par les sportifs sur lesquels elles ont une grande emprise. Il y a donc une alliance objective entre les pays organisateurs et les sponsors.
Reste que le problème de l'organisation de cet évènement en Chine n'est qu'un problème ponctuel alors que d'autres questions ayant des répercussions plus profondes se posent à nous.
 

La Chine comme partenaire économique

Beaucoup d'entreprises européennes, américaines, japonaises, etc ont choisi de délocaliser une partie de leurs chaînes de montage et d'assemblage en Chine. Les raisons sont connues : faiblesse des coûts de production (bas salaires, loyers peu chers, etc) et présence sur un marché à fort potentiel. Tout cela a été encouragé par la politique économique du gouvernement chinois qui a tout fait pour attirer les investisseurs étrangers. Dans un contexte de libre-échange, il est normal que les entreprises cherchent à être présente partout tout en cherchant à rentabiliser au maximum leurs investissements. Cela a bien évidemment profité à d'autres pays que la Chine. Mais ce qui est frappant dans le cas chinois est la frénésie de ces investissements et le manque de vision à moyen et long terme de ces entreprises. Certes, ces dernières en profitent beaucoup maintenant mais ne se sont-elles pas tirées une balle dans le pied ? Le système économique fait que la Chine a acquis d'énormes capacités financières qui nous rendent de plus en plus dépendant d'elle. Les Chinois sont également en train de rattraper leur retard technologique à grands pas grâce aux transferts volontaires et involontaires de technologies. De plus, la concentration sans précédent de certaines productions dans ce pays est anormale et économiquement dangereuse ; c'est par exemple le cas des jouets. A cela s'ajoute que le niveau de qualité des composants et de la fabrication est souvent moyen voire médiocre. Certains experts et certains responsables politiques et économiques affirment que les pays économiquement développés conserveront une bonne avance technologique et une capacité d'innovation supérieure à des pays tels que la Chine ou l'inde. Ce raisonnement ne tient pas. Un pays peut rattraper son retard beaucoup plus rapidement que dans le passé. La Corée du sud et Taïwan commencent déjà à égaler les capacités d'innovations technologiques du Japon dans certains secteurs électroniques ! Pourquoi la Chine n'en serait-elle pas capable ?
Il faudrait éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier et avoir une vision à long terme des effets d'une délocalisation importante de nos capacités de production. En favorisant trop la Chine ou un autre pays, les pays développés rétrograderont.
 
 
La Chine dans le concert des nations

En tant que puissance nucléaire, économique et démographique, la Chine est bien évidemment une pièce importante et incontournable de l'échiquier mondial. Les Etats-Unis semblent s'en être rendus compte au contraire des Européens. De par ses besoins en terme de matières premières (pétrole, métaux, gaz, etc), la Chine cherche à s'assurer des routes d'approvionnement sûres. Cela explique en partie la présence de plus en plus importante de ce pays en Afrique et et en Asie mais aussi ses tentatives, encore timides, en direction de l'amérique du sud. Le problème se posera également bientôt avec l'Inde et le Brésil.
Cependant, l'économie n'est pas la seule explication de cette "mondialisation de la Chine". Il y aussi des raisons politiques. L'économie chinoise s'est en partie libéralisée mais le système politique n'a pas suivi le même chemin. Ce qui se passe au Tibet mais aussi avec les Ouïgours montre bien que le régime chinois utilise le nationalisme comme un instrument de pouvoir. Il suffit d'entendre et de lire les slogans des manifestants déclarant que le Tibet fait et fera toujours partie de la Chine. Penser que le développement économique va améliorer les choses, c'est faire preuve de beaucoup d'optimisme voire de naïveté. A la différence de l'Union Soviétique, la Chine commence à avoir une puissance économique telle que le pouvoir ne sera sans doute pas immédiatement menacé par son opinion publique puisqu'il pourra satisfaire les besoins basiques de sa population. Ce pays développe et modernise également son armée afin de pouvoir contrer l'influence américaine jusque sur les océans (cf. la construction d'une immense base navale de Sanya à Haïnan 1). Cela doit lui permettre de protéger ses routes commerciales et de faire pression sur ses voisins avec lesquels il y a nombre de contentieux frontaliers agravés par la présence de matières premières et de sources d'énergie (2).
A tout cela, il faut ajouter un aspect culturel : la volonté de la Chine de retrouver son statut de première puissance du monde. Certes, ce n'est pas une particularité chinoise. Les Américains, les Russes et même les Français (sur un plan plus moral) veulent être les phares de l'humanité. Le problème est le contenu idéologique qui soutient une telle volonté. Le système politique chinois étant ce qu'il est, on peut plus que douter de ses bienfaits pour le monde.

Il est donc important de d'entretenir des relations avec la République populaire de Chine mais il faut aussi savoir s'opposer à elle quand cela est nécessaire. On le fait bien avec d'autres grandes puissances comme les Etats-Unis. Ce que messieurs Raffarin et Poncelet ont récemment fait ressemble plus à une pantalonnade qu'à une véritable mission diplomatique. Les pays occidentaux doivent comprendre la spécificité de la Chine et traiter avec elle d'égal à égal sans renoncer à leurs principes. Il en va de même pour nos relations avec la Russie. Le relativisme culturel trop poussé encourage à tout accepter même l'inacceptable. Quant à nos décideurs économiques, ils devraient éviter de ne s'intéresser qu'au court terme.
 
 
Hervé Tisserand