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29 septembre 2008

Crise à New York, champagne à Tokyo

C’est bien connu :  « le malheur des uns fait le bonheur des autres ». C’est d’autant plus vrai dans le monde économique où les poissons les plus faibles ont toujours eu vocation à être dévoré tout cru par les requins  de la finance. La crise dite des subprime qui affecte nombre d’établissements financiers depuis plus d’un an ne déroge pas à la règle.

 

Avec un peu de cynisme, nous aurions pu parler de cet alibi fabuleux que fournit la crise au  Président Sarkozy qui peut ainsi justifier, ou plutôt cacher, l’échec complet de sa politique économique  (si tant est qu’il en ait une !) qui mène inexorablement le pays au bord du marasme alors que la France est paradoxalement un des pays les moins touché par la crise. Les banques françaises feront en effet cette année encore des bénéfices substantiels.

 

Plus que résister face à la tempête, certaines institutions financières ont en effet su profiter des déboires de leurs concurrentes  anglo-saxonnes pour s’accroître. Et à ce petit jeu, ce sont des holding japonaises qui semblent avoir remporté le gros lot.

 

Depuis une semaine on assiste ainsi à un nombre impressionnant d’acquisition et de rachat.

 

Le 22 septembre on apprenait que Nomura, une des principales maison de courtage du Japon rachetait l’ensemble des activités de Lehman’s Brother en Asie et en Océanie avec ses 3 000 employés pour 225 millions de dollar.

Deux jours plus tard, c’étaient les activités de Lehman’s Brother au Moyen-orient et en Europe (2 500 employés dans 20 bureaux) qui étaient rachetés pour… 2 dollar.

Kenichi Watanabe, l’un des dirigeants de Nomura qualifia ces acquisitions d’exceptionnelles car permettant à son groupe "d’étendre son empreinte sur l’Europe ainsi que sa portée internationale » concluant que c’est « une opportunité comme on en a une par génération ».

Dans la foulée le titre prenait 9,58% à la bourse de Tokyo.

 

Dans le même temps, on apprenait lundi 22 septembre que la Mitsubishi UFJ rachetait jusqu’à 20% des actions de la deuxième maison de courtage américaine Morgan Stanley pour plus de 8 milliard de dollar. Puis le 29 septembre elle acquérait 29,8% de UnionBanCal Corp avec l’ambition de faire de la principale banque californienne une de ses filiales.

Enfin la Mizuho quant à elle achetait pour 1,2 milliard de dollar  des actions émises par Merril Lynch en janvier et qui a dû fusionner avec la Bank of America  pour éviter la faillite. Cette acquisition de titre par les Japonais a été présenté comme un simple renforcement de lien entre les deux établissements. La banque nippone souhaitant profiter des dividendes et d’une éventuelle plus value lors de la revente des titres prévue en 2010.

 

Les institutions financières japonaises sont en bonne santé. Et si elles sont si puissantes, c’est principalement le résultat de la politique gouvernementale d’assainissement et de concentration qui eût lieu dans l’archipel de 2001 à 2006. C’est notamment grâce à cette politique qu’est née la Mitsubishi UFJ Bank, deuxième plus grosse banque en avoir avec 1 700 milliard de dollar, derrière Citigroup. Elle a été fondée en octobre 2005 de la fusion de la Bank of Tokyo Mitsubishi et de la UFJ Bank. Cette dernière étant elle-même le résultat du regroupement de trois banques  en 2002, les Sanwa Bank, Tokai Bank, et Toyo Trust and Banking.

 

Contrairement à ce que disent George W. Bush ou Nicolas Sarkozy, tout ne va donc pas si mal. C’est juste une question de latitude. C’est aussi et surtout une question de politique économique.

 

Barrak Obama, avec d’autres, l’a bien compris, lui qui n’a pas hésité à désigner la politique de dérégulation des marchés opérée pendant 8 ans par l’administration Bush comme responsable des maux actuels. De même qu’on peut voir dans l’offensive financière nippone le résultat de la politique de Junichiro Koizumi qui entre 2001 et 2006 a assaini de façon drastique le milieu bancaire japonais qui souffrait des mêmes maux que ceux des Etats-Unis.

 

Ainsi, pas plus que la crise financière américaine ou que la bonne santé des banques japonaises, la faible croissance française et la morosité de son économie ne sont des phénomènes sans causes. Ils sont le fruit d’une politique. Et les premiers responsables de ses résultats sont ceux qui ont conduit cette politique.

 

Alexandre Joly.

 

 

 

22 septembre 2008

Taro Aso : nouveau Premier ministre du Japon

En remportant au premier tour ce lundi 22 septembre l’élection interne au poste de président de son parti, le Jimintō, Taro Aso deviendra automatiquement mercredi le nouveau Premier ministre du Japon. Bénéficiant d’une très large majorité à la Diète, le chef du Jimintō ne rencontrera donc aucune opposition dans sa démarche pour devenir chef du gouvernement.

 

En choisissant Taro Aso par 351 voix sur ses 527 membres électeurs, le Jimintō change une nouvelle fois radicalement de stratégie politique, tant le personnage est l’opposé de son prédécesseur Yasuo Fukuda. Ce dernier avait en effet été largement élu en septembre 2007 (contre Taro Aso déjà)  à la tête du parti car il incarnait une image plus classique, conciliante et rassurante que son adversaire. Il était aussi censé faire oublié la dérive personnaliste du pouvoir qu’avaient personnifiés les deux gouvernements de Junichiro Koizumi (2001-2006) et de Shinzo Abe (2006-2007).

 

Avec l’élection de Taro Aso, le Jimintō fait donc le choix d’un premier ministre charismatique, populiste et populaire, libéral et nationaliste qui se définit lui-même comme un faucon. Le style de gouvernance sera donc très proche de celui de Koizumi dont il fût le ministre des affaires intérieures et des communications (septembre 2003~octobre 2005), puis ministre des affaires étrangères (octobre 2005~août 2006). Il occupa ce dernier poste jusqu’en août 2007 dans le gouvernement Abe.  

 

Mais ce choix du Jimintō s’explique avant tout par la volonté du parti de se doter d’un chef de file fort en vue des élections législatives qui doivent se tenir avant septembre 2009, et capable de faire oublier les différents scandales qui éclaboussèrent cette législature. Cette analyse est qui plus est renforcée par les rumeurs d’une élection anticipée, à laquelle appellent autant Taro Aso que l’opposition, et dont certains analystes ont déjà « fixé » la date au 26 octobre.

 

Or si sa personnalité a souvent joué des tours à Taro Aso, notamment lors des 3 précédentes élections internes au poste de président du parti qu’il a largement perdu (un front anti-Aso s’était même créé l’an denier), elle lui offre aussi une popularité et une visibilité que ses adversaires n’ont pas.

 

Taro Aso, comme bon nombre de politiciens japonais, est un homme du sérail : Son père était député ; son grand-père maternel, Shigeru Yoshida, fut cinq fois Premier ministre entre 1946 et 1954 ; sa femme est la fille de l’ancien Premier ministre Zenko Suzuki ; et enfin il est le beau-frère du prince Tomohito de Mikasa, cousin de l’Empereur. Un tel lignage plaît beaucoup aux Japonais.

En costumes clairs, l’air décontracté, il cultive néanmoins une différence de style avec les autres politiciens japonais (comme Koizumi avant lui) avouant par exemple sa passion pour les manga quand les autres ont des goûts plus classiques et moins populaires.

Enfin certains traits le différencient clairement : il est chrétien (baptisé Francisco), dans un pays où ceux-ci furent longtemps pourchassés ; il a aussi participé aux J.O de Montréal en 1976 dans la discipline du Tir aux Pigeons.

 

Mais Taro Aso est aussi connu pour ses propos à l’emporte pièce, comme bon nombre de leaders populistes de droite dans le monde d’ailleurs. En 2005 il parla ainsi des Japonais en terme de race, et en 2006 alors ministre des Affaires étrangères il qualifia de positive la colonisation de Taïwan par l’armée impériale japonaise. Sa dernière « perle » est ssez récente puisqu’elle date du 4 août 2008, 3 jours après avoir été nommé numéro 2 du Jimintō : il estima alors, que laisser le Japon être gouverné par le parti d’opposition centriste, le Minshūtō, serait aussi préjudiciable pour le pays que lorsque l’Allemagne le fût par les Nazis.

 

La mission de Taro Aso est donc de mener à bien la campagne législative à venir. Une victoire de son parti le renforcera, mais elle ne pourra  pas cacher la principale réalité de la vie politique japonaise. Depuis la démission de Koizumi en septembre 2006, le pays a connu 6 remaniements ministériels, 3 premiers ministres et aucune des réformes impératives dont aurait besoin le pays tant sur le plan social (réforme des retraites t de la sécurité sociale, dénatalité) qu’économique (surendettement, opacité bancaire, retour de la décroissance)…

 

Alexandre Joly.      

 

 

 

 

 

15 septembre 2008

Sarkozy et la laïcité : le malentendu

Ignorant de l’histoire politique et religieuse de la France ? Enfonceur de portes ouvertes ? Ou machiavélique stratège réactionnaire? Difficile de qualifier l’obstination présidentielle à continuer de parler de « laïcité positive » comme il l’a fait lors de son discours d’accueil du Pape, et d’en saisir les fondements et les objectifs politiques. A défaut d’explications claires et de volonté de l’intéressé d’en débattre (c'est-à-dire avoir des contradicteurs), essayons néanmoins de comprendre.

Depuis plusieurs années déjà Nicolas Sarkozy s’efforce de convaincre le pays, avec d’autres à l’UMP comme Eric Raoult, que la laïcité, telle qu’inscrite dans les lois et appliquée en France, ne serait pas ou plus adaptée à la réalité de notre temps. Lui reprochant une forme d’incapacité à assimiler les nouvelles religions émergeantes sur le sol de la République (principalement l’Islam) il vitupère contre le musellement et l’oppression dont serait victime la principale religion du pays (le Catholicisme). En 2004 dans son livre La République, les religions, l'espérance il jugeait la laïcité « épuisée» flirtant avec « le fanatisme ».
C’est de ce constat qu’il tirait et continue à tirer argument pour « appelle[r] une nouvelle fois à une laïcité positive » (discours du 12 Septembre 2008).

Le terme de « laïcité positive » est devenu le leitmotiv présidentiel et le symbole de la polémique qu’entraînent les prises de position du Président. En juxtaposant un qualificatif comme « positif » il entend modifier le sens et la valeur première du mot qu’il qualifie. A moins de vouloir sciemment produire un pléonasme, ajouter « positif » au mot « laïcité » implique soit que cela ne va pas de soit, soit que c’est même l’inverse, la laïcité n’est ni un bien ni une avancée sociale. On trouve l’exemple de cette réhabilitation d’une politique négative par son positivisme sémantique aux Etats-Unis dans la politique de « discrimination positive » qui vise à favoriser ceux (les Afro-américains) qui furent victimes des politiques ségrégationnistes, instrument de discrimination (et ce n’est pas un hasard si Nicolas Sarkozy a aussi repris cette idée à son compte).

Comme la discrimination a pu trouver sa rédemption dans son positivisme, Nicolas Sarkozy sous-entend que la laïcité peut et doit en faire de même. Comment ? Réponse toujours hier devant Benoît XVI : en inventant une « laïcité positive, (…) laïcité ouverte, (…) une invitation au dialogue, une invitation à la tolérance et une invitation au respect ».
Propos magnifiquement consensuels, humanistes et démocrates qui sonnent aussi doux qu’une certaine loi du 9 décembre 1905, signée par le Président de l’époque Emile Loubet et pierre angulaire de… la laïcité à la française. Car qu’est-ce que l’article 1 de la loi quand est décrété que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes », sinon un appel à la tolérance vis-à-vis des croyants et des incroyants ? Que sont les articles 31 et 32 qui sanctionnent les « mangeurs de curés » et autres perturbateurs de messes, sinon des appels au respect des croyances et des croyants ?

A entendre ainsi les propos présidentiels, on s’interroge sur sa connaissance des textes législatifs et l’histoire de leur vote, ainsi que sur l’originale interprétation qu’il en tire ou sa vision démoniaque et archaïque de la laïcité. Alors petit rappel : Non la laïcité, comme appliquée dans la République n’est pas synonyme d’athéisme d’état, non la laïcité comme loi votée en 1905 ne vise et n’a jamais visé à l’annihilation de toute religiosité en France, la laïcité étant au contraire la recherche d’harmonie entre l’état, la religion majoritaire, celles minoritaires, les athées et incroyants. Laisser entendre comme le Président que la loi de 1905 cherche à museler toute religiosité c’est ignoré le soucis de la majorité des parlementaires de l‘époque de parvenir à une loi d’apaisement et de respect. Qu’on se souvienne des propos du rapporteur de la loi, Aristide Brillant, mettant en garde les anticléricaux à la Chambre contre « toute loi qui soit braquée sur l’Ėglise comme un revolver ». Ce soucis de la modération avait été ainsi commenté par l’écrivain Charles Péguy : la loi « en un mot, elle n’avait point été combiste*, mais beaucoup plus républicaine. »

« On tremble devant tant d'inculture historique ! » écrivait Bernard Poignant dans une tribune publiée par Le Monde du 09 Septembre 2008 suite à des propos du président sur la Russie. Il semblerait que son ignorance s’étende aux champs du droit et de l’histoire politico-religieuse de la France. Inquétant.

Mais l’ignorance n’empêche pas l’action politique ou la volonté de donner l’illusion de l’action politique. En créant une polémique sur un sujet sensible, le président donne l’impression de vouloir faire changer les choses, renforçant aux yeux des plus crédules sa stature « réformatrice ». Même si, comme on l’a vu dans les exemples précédents sur la définition de la laïcité, il ne fait que reprendre ce qui est déjà en vigueur depuis plus d’un siècle. Le Président enfonce des portes ouvertes pour mieux se targuer de les avoir déverrouillées, comme avec cette perle oferrte au Pape: « La quête de spiritualité n'est pas un danger pour la démocratie, et n'est pas un danger pour la laïcité. ». Evidemment puisque l’essence même de la laïcité est de défendre le droit à la quête de spiritualité, quelle qu’elle soit ! On imagine mal un principe être mis à mal par la propre définition de sa raison d’être.

Malheureusement, consciemment ou inconsciemment, en redéfinissant la laïcité comme une caricaturale domination de l’athéisme, ce qu’elle n’est absolument pas et se défend d’être, Nicolas Sarkozy attaque un des piliers de notre République, une des valeurs qui fondent, forgent et unifient notre nation. Au risque de réveiller des vieux démons comme le montrent les réactions du porte parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, qui a traité les gens qui s’offusquaient des propos présidentiels « de vieux laïcards » ou de François Hollande qui n’hésita pas à qualifier les dits propos de « vieille rengaine de la droite la plus cléricale ». La même qui était anti-parlementariste et anti-républicaine…

Alors Nicolas Sarkozy machiavélique stratège d’une droite réactionnaire, anti-républicaine sur le retour ? Cela peut paraître excessif. Néanmoins, on peut s’en inquiéter tant est récurrent le propos et la stratégie pour y parvenir semble claire : en pointant des menaces (plus fantasmées que réelles) qui pèseraient sur la laïcité, en sapant sa portée, il entend préparer l’opinion publique à une modification de ses règles d’application aux travers de réformes jugés, unilatéralement, indispensables. Celles-ci présentées sous un emballage de « modernité et d’ouverture » marqueront bien évidemment un recul de la laïcité (on pense notamment à un développement du soutien financier aux écoles religieuses, de l‘utilisation des institutions religieuses comme suppléant social ou médiateur de l’état dans certains quartiers…).
Les exemples de réussite de ce type de stratégie mystificatrice ne sont malheureusement plus à démontrer. Rappelons ainsi la réduction substantielle et régulièrement dénoncée par nombres d’associations, des libertés individuelles depuis 7 ans aux Etats-Unis après l’entrée en vigueur du « Patriot Act » : ensemble de lois pourtant votées au nom de la défense des libertés mais qui s’avouèrent ouvertement liberticides.

Nicolas Sarkozy ignorant et inculte ? Grand communiquant dans le vent ? Ou grand ordonnateur d’une réaction anti-laïque ? Quelque soit la réponse, une grande vigilance s’impose. Car si aujourd’hui il y a un problème de laïcité en France, il provient plus de la multiplication des prises de position présidentielles dans le domaine du religieux et des croyances (et dans beaucoup d’autres d’ailleurs) ou dans son obstination à vouloir exprimer, et dicter une (sa ?) pensée aux Français que de l’implication des religions dans la gestion de l’état. Il est grand temps que notre César rende à Dieu ce qui est à Dieu, et retourne à la mission pour laquelle il a été élu.

Alexandre Joly.

* du nom d’Ēmile Combes, président du Conseil de 1902 à 1905, anticlérical convaincu bien que spiritualiste, qualifié à l'époque de « mangeur de curés » .

07 septembre 2008

Kazuya Ito, l’Afghanistan et l’engagement français

Kazuya Ito avait 31 ans et était japonais. Son corps a été retrouvé mercredi 27 août dans l’est de l’Afghanistan. Mort, criblé de balles. Son crime ? Avoir été agronome et travailler depuis 2003 pour une association japonaise, Peshawar Kai. Sa mission était d’aider les paysans afghans à faire pousser patates douces et riz en lieu et place du pavot, en organisant l’irrigation de terres arides. Et c’est en se rendant sur le site d'un projet d'irrigation, dans la province de Nangarhar qu’il a été enlevé le mardi 26, 24 heures avant son assassinat.

Ainsi,au moment où la France pleure 10 de ses soldats morts dans une embuscade et s’interroge sur sa présence dans un conflit à des milliers de kilomètres de la métropole, le Japon en fait de même autour de son travailleur humanitaire. Et ce alors qu’à Tokyo des négociations doivent s’engager entre le futur gouvernement * et l’opposition sur le renouvellement de la loi annuelle de déploiement de la force de soutien aux troupes terrestres en Afghanistan qui opère dans l’Océan Indien, et qu’à Paris l’Assemblée nationale en fera de même le 22 septembre.

Dans cette optique, le meurtre de Kazuya Ito a naturellement servi d’arguments au gouvernement nippon. Ainsi, Nobutaka Machimura, le Secrétaire du Chef de Cabinet et numéro 2 du gouvernement, lors de la conférence de presse annonçant la mort de l’humanitaire, estimait « que maintenant plus que jamais, le public japonais a senti l’importance de l’obligation d’être activement engagé dans la lutte contre le terrorisme à cause du sacrifice de précieuses vies ». Défendant la position japonaise depuis 2003.

Si l’instrumentalisation de la mort d’un travailleur humanitaire, comme de celles de 10 soldats, dans un débat portant sur un engagement militaire peut paraître malsaine, elle en est pour autant inévitable. D’autant plus inévitable qu’elle est ici symbolique de la nature du combat mené.

Kazuya Ito n’était le bras armé d’aucune puissance occupante, il était un humanitaire qui avait découvert la souffrance du peuple afghan et qui s’était depuis voué à l’aider. L’association pour laquelle il oeuvrait n’était l’instrument d’aucune politique gouvernementale, ni japonaise, ni américaine. Au contraire, ses fondateurs sont des proches du docteur Tetsu Nakamura qui depuis 1984 soigne les réfugiés aux confins du Pakistan et de l’Afghanistan et qui est connu pour s’être opposé à l’intervention américaine en 2001.

Comme l’écrivait le Yomiuri Shinbun dans son éditorial du 29 août, Kazuya Ito n’était porteur d’aucune idéologie de conquête, « travaillant dur, s’intégrant à la communauté locale, ayant construit de fortes relations de confiance avec la population ». Mais comme pour les 25 autres travailleurs humanitaires tués depuis le début de l’année, ces valeurs représentaient une menace pour les Talibans. Le développement de l’Afghanistan n’ayant jamais fait parti de leur projet politique.

Alors que faire ?

Au Japon dans le parti au pouvoir, comme aux Etats-Unis chez les Républicains ou en France dans la bouche de nombreux députés de l’UMP, le maître mot est depuis 2001 : « Guerre contre le Terrorisme ». Idéologie qui est le degré zéro de la géopolitique, confondant la méthode et l’objectif, pratiquant l’amalgame et l’approximation. Idéologie d’autant plus dangereuse qu’elle se rend incapable d’identifier clairement l’ennemi qu’elle disperse les moyens et rend toute stratégie efficace impossible. Il est donc inquiétant de voir cette expression resurgir sous la plume du ministre de la Défense.

Qui plus est une telle définition ne peut justifier le déploiement dans un pays d’une coalition de 40 pays, 75 000 hommes, d’une aviation et de plusieurs groupes aéronavals. Tout le monde sait que le contre terrorisme est affaire de renseignement et de subtilité. Mais doit-on, peut-on, pour autant rester passif et laisser l'Afghanistan à son propre sort ?

Les arguments des partisans d'un retrait de toutes les forces "alliées" sont connus : guerre pour les intérêts de l'Oncle Sam (oubliant en cela la légalité et le soutien des Nations Unis à ce conflit), guerre d'occupation contre les Afghans (omettant leur expression démocratique et le fait que de nombreux Talibans soient étrangers), bourbier et donc guerre impossible à gagner....

Non, car cette guerre est en fait, sommes toutes assez classique. Elle se fait contre une entité politico-militaire claire (les Talibans, soutenus sporadiquement par quelques nationalistes et chef de guerre pashtounes), leur idéologie (une conception nihiliste du Jihad) dans un cadre géographique restreint. Or les Talibans et leur idéologie portés au pouvoir ont montré de 1996 à 2001 leur dangerosité pour la stabilité de la région et au-delà pour l’Afrique, l’Asie centrale, jusqu’à New-York. Un retour des Talibans, c’est l’assurance d’un embrasement des pays voisins (dont la Chine avec le Xinjiang et le Pakistan nouvellement démocratique, deux puissances nucléaires), mais aussi d’une relance des réseaux jihadistes en Europe ou leur renforcement en Afrique. Alors, si nous n’appuyons pas les propos présidentiels quand il dit à Kaboul le 20 août « que ici se joue une partie de la liberté du monde » on admettra que le monde vivra beaucoup plus en sécurité avec un Afghanistan sans Taliban.

Argument qu’il est aujourd’hui difficile de contredire pour les partisans européens comme japonais d’un retrait des troupes. Opposé à la mission japonaise dans l’Océan Indien, le Asahi Shinbun s’est retrouvé embarrassé dans son éditorial du 29 août, se contentant de réclamer « un retrait temporaire de tous les personnels des régions instables » ajoutant que le Japon devait « comme nation, surmonter son chagrin et continuer à être actif. » sans appeler, ni à la reconduite, ni à l’annulation de la mission japonaise, une première. Car la position devient intenable pour les partisans, au Japon comme en France, d’un retrait au soutien militaire.

Contester la présence militaire étrangère, c’est vouloir laisser les Talibans reprendre le pouvoir à Kaboul, avec le cortège d’horreurs qu’on a déjà connu comme l’ont rappelé B. Kouchner et H. Morin dans leur tribune paru dans Le Monde du 29 août. De 1996 à 2001, «la dignité de la femme y était bafouée, les droits de l'homme inexistants, l'obscurantisme et la terreur omniprésents. Sous ce régime, les femmes n'étaient ni scolarisées ni soignées, les opposants étaient pendus dans les stades, la culture et la civilisation du pays reniées. ».

Cette guerre, elle est donc menée à la fois pour éviter un accroissement de l’instabilité mondial, mais aussi et surtout au nom d’une certaine idée du genre humain.

C’est pour cela que si avec François Bayrou nous pensons que la stratégie engagée, axée sur un effort tant militaire qu’économique, social et politique est bonne, si nous soutenons l’engagement français et pensons qu’il doit être consolidé et renforcé, nous estimons qu’il nous faut aussi, en tant que démocrates, exiger l’exemplarité dans la façon de mener cette guerre. L’exemplarité c’est pour le gouvernement et l’Etat Major s’imposer une plus grande transparence dans la gestion stratégique et tactique du conflit, accepter la critique, rendre des comptes. C’est aussi pour la diplomatie française négocier, avec l’aide des autres Européens, notre plus forte présence sur le terrain en exigeant des Américains que cessent les bombardements hasardeux de villages, la mort de civils, les emprisonnements arbitraires, l’impunité face aux détournements des aides qui in fine affaiblissent la légitimité de l’intervention et sont totalement contre productif puisque façonnent les adversaires de demain.

Alexandre Joly.

* Le cabinet Fukuda a démissionné le premier septembre mais il gère les affaires courantes en l'attente de l'élection d'un nouveau président à la tête du parti majoritaire prévu à la fin du mois. L'élu deviendra alors le nouveau chef du gouvernement.