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14 août 2008

Le Japon dans L’Histoire

Comme régulièrement pour son numéro double des mois de juillet et d’août, l’excellent magazine L’Histoire (n° 333) titre son numéro spécial sur un pays ou une zone géographique déterminée.

 

Ainsi, après l’Amérique latine l’an dernier, la Chine en 2005 ou encore l’Inde en 2003, c’est au tour du pays du soleil levant d’être cette année à la une du magazine. Intitulé Le Japon, des samouraïs aux mangas, le mensuel offre à ses lecteurs un ensemble de vues de l’histoire du pays de la préhistoire à nos jours.

 

C’est aux travers d’une approche pluridisciplinaire de l’histoire qui voit se mêler aussi bien  des articles consacrés à la géographie, comme  Le paysage des extrêmes de Philippe Pelletier, l’archéologie, la sociologie ou encore la géopolitique présente avec La puissance paradoxale de Karoline Postel-Vinay que sont brillamment abordés les paradoxes, continuités ou ruptures de l’histoire du Japon.

 

Si on regrettera une hypertrophie de l’histoire contemporaine avec ses 9 grands articles au détriment des périodes antiques et médiévales (4 articles) ou modernes (4 aussi), on en appréciera d’autant plus la qualité des dits articles qui offrent une vision plus nuancée et moins radicale du Japon que celle habituellement servie par les médias français.

 

L’Histoire, n° 333, juillet-août 2008

6,40 €

 

Alexandre Joly.

01 juillet 2007

Ingérence historique

Mardi 27 juin, la commission des Affaires Etrangères du Sénat des Etats-Unis a adopté une résolution non-contraignante, demandant officiellement au Japon de reconnaître et s'excuser pour l'exploitation de « femmes de réconfort » dans les bordels militaires de campagne sous contrôle de l'armée impériale durant la deuxième guerre mondiale en Asie et dans le Pacifique.

Cette résolution, qui n'est pour l'instant pas une déclaration officielle du Sénat et n'a pour conséquent qu'une portée très limitée suscite néanmoins des remous des deux côtés du Pacifique. Car voulue par le député démocrate d'origine japonaise M. Honda, cette résolution a été soutenue par Nancy Pelosi et pourrait donc être l'avant-projet d'une résolution du Sénat à la portée plus internationale et beaucoup plus contraignante.

Et si dans les deux gouvernements on continue à clamer que les « relations américano-nippones sont inébranlables » ou comme le premier ministre japonais on rappelle que «cette commission adopte de nombreuses résolutions sans effet », ce vote de la comission est un coup très rude porté au Japon.

La presse nippone n'a d'ailleurs pas tardé à réagir, pressant le premier ministre Abe de prendre une position internationale claire. Or cela surgit à un moment où celui-ci doit affronter des élections partielles pour lesquelles son parti part handicapé, englué qu'il est dans une succession de scandales économico-politico-administratifs.

Cette résolution a aussi relancé le débat sur la perception et l'attitude qu'ont de leur histoire les Japonais comme le rappelait sur ce blog Hervé dans sa note du 7 mars. Or, une prise de position claire de Shinzo Abe aura une influence évidente sur le résultat des élections, car il devra choisir entre deux choix politiques bien tranchées aux conséquences intérieures et internationales importantes.

Ces deux positions les éditoriaux des deux grands journaux japonais publiés ce mercredi s'en font les échos respectifs.

*


Ainsi le Yomiuri Shinbun, grand journal de droite a tout à la fois critiqué la résolution américaine, car « basée sur une perception erronée des faits », et le premier ministre pour son attitude jugée conciliante envers les théses qui accusent l'armée japonaise d'avoir été impliqué dans le recrutement et la gestion des bordels militaires. Le journal reproche surtout à Shinzo Abe de s'inscrire dans la lignée officielle des gouvernements japonais depuis 1993 qui ont fait de la déclaration du Directeur de Cabinet d'alors, Yohei Kono, leur approche officielle de l'histoire. Celui-ci avait ainsi affirmé que « l'armée a été directement ou indirectement impliqué dans le recrutement forcé des femmes de réconfort ».

Le Yomiuri défend quant à lui dans ses colonnes la thése « qu'aucune preuve n'a jamais été trouvé prouvant le recrutement forcé de femmes de réconfort par les autorités militaires ». Il se fait ainsi le porte-parole des nombreux hommes politiques japonais qui remettent en cause la déclaration Kono. Hommes politiques dont S. Abe a fait un temps parti, affirmant réguliérement des propos ambigues notament en mars de cette annèe.

A cette époque le premier ministre avait dû néanmoins faire machine arrière et se faire l'avocat de la déclaration Kono devant les risques de réactions internationales, notament chinoises et coréennes. Car, ses principaux succés politiques sont d'ordre international, lui qui avait promis durant sa campagne de normaliser ses relations avec la Chine et la Corée du Sud et dont les rencontres avec les dirigeants de ces pays furent l'aboutissement. Les chancelleries asiatiques guettent chacune de ses interventions sur l'histoire et le moindre faux pas peut ainsi avoir des conséquences diplomatiques.

C'est d'ailleurs sur le thème du bras de fer diplomatique que Taro Aso, le très à droite ministre des Affaires Etrangeres avait commenté les préparatifs à cette résolution en mars, dénonçant « le lobbying d'ennemis du Japon aux Etats-Unis liés aux Chinois et aux Coréens

Ce front «négationniste» a par ailleurs tenté de faire la publicité de ses théories en s'offrant une pleine page du Washington Post, intitulée The facts. Cela eut bien évidemment l'effet inverse au résultat recherché puisque la commission n'a pas changé sa position, mais cela a surtout donné à l'affaire un retentissement encore plus grand et provoqué des réactions indignées. C'est ainsi que pendant que la commission américaine passait sa résolution, le président de la Chambre des Représentants du parlement hollandais expédiait un courrier à son homologue nippon, Yohei Kono (le même que celui de la déclaration de 1993 !), se plaignant de la trop grande liberté et du peu de contradiction qui était opposé aux députés « négationnistes ». Il rappelait surtout que des citoyennes hollandaises, suite à l'invasion de l'Indonésie, alors colonie battave, par les troupes impériales, avaient été faites prisonniéres et prostituées de force.

*


Cet activisme de dizaines de députés, provenant aussi bien des rangs du Jiminto au pouvoir que du Minshuto principal parti d'opposition, l'éditorial de mercredi du grand journal de gauche l' Asahi Shinbun l'a clairement dénoncé. Comme il dénonce réguliérement dans ses colonnes toute attitude qui vise à nier ou falsifier les actions commises pendant la période coloniale et la guerre. Soit à travers des déclarations d'hommes politiques, soit à travers les commissions qui établissent les programmes scolaires d'Histoire.

En desaccord avec Shinzo Abe, l'éditorial estime que cette résolution est beaucoup plus grave qu'il ne pense et aura des conséquences diplomatiques car permet de mettre en doute la crédibilité démocratique du Japon, ce qui est néfaste quand on souhaite intégrer le Conseil de Sécurité des Nations Unis, ou prendre plus de place dans la gestion des affaires du monde. Le journal souligne que le « Japon prend des coups à chaque fois que des politiques japonais disent ou font quelquechose qui peut être interprété comme la justification des actes commis durant la guerre», et réclame en conséquence une attitude plus claire de la part du premier ministre.

Le journal lui reproche à mots couverts, comme beaucoup de monde, de ne s'être converti que trop tardivement à la déclaration Kono et de ne pas être apte à la défendre avec conviction. De même que sur le sujet, il lui est reproché de ne pas avoir mis en avant le travail de réflexion opéré par la société japonaise au sortir de la guerre, sur celle-ci et sur la colonisation. faisant d'elle une société antimilitariste.

Surtout, enfant d'une lignée politique qui a eu sa part de responsabilité pendant la guerre, conservateur, son attitude repentante est encore trop ambivalante pour être réellement crédible, comme l'ont démontrées ses visites au temple du Yasukuni qui renferme les âmes des soldats morts pour le Japon depuis le XIXe siècle. Dont celles de criminels de guerre.

Mais l' Asahi Shinbun ne concentre pas seulement ses attaques sur le Japon, il s'en prend aussi à la commission américaine et sa résolution « dont de nombreux points peuvent être remis en question ». Il lui est reproché notament d'occulter toutes les déclarations déjà faites par le Japon en matière de reconnaisance et d'excuses, mais aussi de compensations, rappelant que tous les premiers ministres depuis 1993 ont réguliérement envoyé aux victimes des lettres d'excuses et de compassions, accompagnées de dédommagements financiers.

Alexandre Joly

Ingérences historiques II

Cette ingérence historique que se permet le Sénat américain est, moralement scandaleuse et condamnable ; politiquement contre-productive et dangereuse. S'il n'est pas ici question de remettre en cause la réalité de la prostitution forcée de milliers de femme en Asie, et s'il n'est pas question non plus d'accorder le moindre crédit aux négationnistes nippons, on peut remettre en cause cette attitude moralisatrice des Etats-Unis qui vise à dicter aux autres pays (qui plus est ici, un de leurs plus fidèles alliés !) comment lire leur histoire.

Moralement scandaleuse elle l'est car les parlementaires américains, pas plus que leurs homologues français ou autres, n'ont à s'ériger en procureur de l'Histoire. Nous n'aurons de cesse à répéter ici que les parlements et les tribunaux ne sont nullement des endroits où doit se pratiquer la recherche ou l'enseignement de l'Histoire. Le Japon, comme les Etats-Unis ou la Corée du Sud sont des démocraties avec des systèmes universitaires de grandes qualités et aux chercheurs de renommées internationales. C'est à eux de faire avancer la connaissance et non à quelques députés en quête de renommée facile.

Facteur aggravant, cette résolution fait fis des différents courants de pensée dans l'opinion japonaise, la rendant monolithique et laissant croire que tous les Japonais adoptent cette position négationniste . Ce qui est évidemment une tromperie.

Condamnable elle l'est quand on analyse non seulement l'intitulé de la résolution mais aussi quand on voit quelles sont les sources sur lesquelles se sont appuyés les parlementaires et quelle a été la méthodologie de leur recherche. Dire que le travail de recherche a été très faible et parfaitement partial n'est qu'un doux euphémisme. Mais ce reproche on peut et doit aussi le faire à toutes les commissions parlementaires qui cherchent à faire de l'histoire et notamment celles qui sont en France à l'origine des lois dites mémorielles sur l'esclavage ou sur le « génocide » arménien. Les parlementaires ne sont pour la plupart pas des historiens, ils n'en ont ni la formation ni les compétences, et on ne le devient pas tout aussi facilement qu'on ne s'improvise médecin. Ce qui produit généralement des préambules historiques navrants à ces résolutions.

Quand ce n'est pas le contenu de la résolution qui l'est. Ainsi, en demandant au Japon de « reconnaître le rôle de son armée dans l'enrolement forcé » de milliers de femmes, cette commission a fait preuve d'un aveuglement et d'une méconnaissance terrible de l'attitude des différents gouvernements japonais depuis 1993 et la fameuse déclaration de Yohei Kono. Comme le soulignait l'Asahi Shinbun, tout ce que demande cette commission a déjà été fait : Tous les premiers ministres japonais dont Shinzo Abe ont fait de la déclaration Kono la position officielle du gouvernement japonais.

En réclamant au gouvernement japonais de s'excuser, la commission parlementaire américaine omet aussi les lettres d'excuses que chaque premier ministre depuis 1993 a écrit et envoyer aux différentes victimes féminines qui servirent de « femmes de réconfort ». Lettres qui reconnaissent les faits et demandent pardon pour les atrocités subies. On peut aussi s'interroger pour savoir pourquoi la commission a en sus oublié de parler du fond d'indemnisation qui a été mis en place par le gouvernement japonais ? Fond qui a permis d'allouer des indemnités aux victimes. En conclusion, cette commission n'a pas fait un travail d'Histoire, elle a instruit à charge.

Et comme tout procès historique, les travaux sur lesquels se sont appuyés la commission sont plus que critiquables. Ils ont cherché à frapper les esprits plutôt qu'à reproduire une réalité. Durant les auditions de cette commission un parlementaire a fièrement présenté au public un ouvrage sur lequel il s'était appuyé. (Je n'ose pas croire que ce soit le seul qu'il ait lu !) Cet ouvrage, The Rape of Nanking , écrit par une journaliste chinoise est un condensé des atrocités commises par l'armée impériale lors de la prise de la ville de Nankin. Et s'il n'est encore une fois pas une seule seconde question de remettre en cause les crimes commis par l'armée japonaise, cet ouvrage est historiquement très critiquable et truffé d'erreurs et approximations. Il n'est en aucun cas considéré comme un travail historique crédible. Ce qui est ennuyeux pour une commission qui prétend dicter l'Histoire.

Mais au-delà de l'aspect moral, cette déclaration aura certainement un impact contre-productif. Car comme tous les pays qui reçoivent un diktat US la société nippone adoptera une position sinon contraire, en tout cas fera le dos rond. Non par idéalisme ou négationnisme historique mais par fierté nationale et soucis de défendre son indépendance et sa liberté de pensée contre une attitude arrogante et déplacée.

Mais surtout cette résolution est dangereuse car une fois de plus les Etats-Unis installent dans le « Grand Jeu » fragile des relations internationales un nouveau principe perturbateur : Le droit d'ingérence historique. Après le droit à la guerre préventive, le droit d'ingérence humanitaire, ce droit à l'ingérence historique va légitimer les revendications et demandes de repentance des nationalistes et extrémistes de tous poils qui chercheront dans l'Histoire tout contentieux permettant de demander excuses et réparations à leurs voisins. Avec les risques de crises et de violences qui en découlent.

Si cette résolution est emprunte de bons sentiments, elle est le symbole d'un messianisme morale en matière diplomatique qui est aujourd'hui la marque de fabrique de la politique étrangère des Etats-Unis, et cela quelque soit le parti au pouvoir. Il est aussi et surtout un magnifique et hypocrite cache-sexe, pour d'autres politiques moins vendables aux opinions publics.

Cette résolution est en fin de compte la parfaite illustration de deux vices ou dérives dans la façon d'aborder la politique étrangère dans nos démocraties occidentales.

La première d'entre elle a été définie par Samuel Huttington en 1996 dans son ouvrage  Le choc des Civilisations . Celui-ci voyait comme l'un des trois moteurs de ce choc, après l'intolérance d'un monde Islamique et le nationalisme chinois, l'arrogance de l'Occident. Cette arrogance qui vise à imposer aux autres cultures ou civilisations un processus de pensée, un mode de vie et de gouvernance de type euro-américain qui ne prendrait pas en compte leurs différences et surtout apparaitrait à ces populations comme un incroyable manque de respect. Aujourd'hui, comme au dix-neuvième siècle, nous pensons pouvoir amener notre lumière sur le reste du monde. Sans nous rendre compte que les rapports de force ne sont plus les mêmes.

Cet aveuglement des rapports de force et des réalités est la deuxième dérive des politiques étrangères en cours en Occident depuis 15 ans. Elle a été magnifiquement illustré dans l'expression d'  « Irrealpolitik » par Hubert Védrine dans son ouvrage Continuer l'Histoire. Où comment la croyance que nos sociétés sont meilleures et nos valeurs supérieurs nous ont fait nier les réalités du monde pour nous penser nouveaux messies de la liberté et de la démocratie.

Arrogance et aveuglement, voici quelles sont les motivations de cette résolution, et pourquoi elle est condamnable. Arrogance et aveuglement qui sont pourtant aussi les raisons de l'échec en Irak.

Alexandre Joly.

07 mars 2007

Tout comme la France, le Japon a du mal à appréhender son histoire

Au Japon, le problème se pose en des termes différents mais les débats engendrés ont la même porté que ceux qui agitent la France. Ici, il n'est pas vraiment question de repentance nationale ou de "lois mémorielles". La question centrale est celle de la responsabilité du Japon pendant la deuxième guerre mondial du comportement de ses troupes dans les pays qu'il a occupé et par conséquence de ses relations avec ses voisins.

Le 1er mars 2007, Shinzo Abe, premier ministre du Japon, a déclaré que, selon lui, "il n'y a pas de preuves de prostitution forcée" de dizaines de milliers de femmes dans les pays occupés par les troupes japonaises pendant la guerre. Suite à cette déclaration, la Corée du Sud a réagi immédiatement par la voix de son ministre des affaires étrangères, Song Min-soon, qui a notamment déclaré que ce type de propos n'était "pas utiles" et qu'il fallait reconnaître la vérité. Des organisations philippines ont également dénoncé les propos du premier ministre japonais. Une victime de cet "esclavagisme sexuel", Hilaria Bustamante, une Philippine de 81 ans abusée sexuellement pendant un an à l'âge de 16 ans dans une garnison japonaise en 1942. a déclaré : "ce qu'il (Abe) a dit me met en colère. Ils (les dirigeants japonais) pensent que nous sommes juste du papier toilette que l'on peut jeter après utilisation." Suite à ces différentes réactions négatives, Shinzo Abe a chercher à minimiser ses propos en déclarant qu'il s'en tenait toujours à la déclaration de Yohei Kono, porte-parole du gouverment de l'époque, en 1993 qui s'était excusé au nom du Japon pour la prostitution forcée et pour l'implication du gouvernement militaire dans certains cas. Il est à noter que le premier ministre n'a pas repris les mots de cette déclaration mais y a seulement fait référence. Il a également dit qu'il y avait plusieurs définitions du mot "forcé". Depuis la déclaration Kono, Le Japon a mis en place un fond d'indemnisation des victimes de cette prostitution forcée (en 1995) mais ce fond est financé par des dons privés et non par l'Etat. Pour les victimes, cela signifie que le Japon ne reconnaît pas encore vraiment ce crime d'autant plus que la diète japonaise n'a jamais officiellement approuvé cette déclaration. Pourtant, nombre d'historiens ont mis en relief la prostitution forcée et à grande échelle de femmes asiatiques dans les régions occupées par l'armée impériale. Ils estiment qu'environ 200 000 femmes en ont été victimes. Ceci a été corroboré par de nombreux témoignages de victimes, de témoins mais aussi d'anciens soldats japonais (voir cet article du Japan Times pour plus de détails).
Depuis sa nomination au poste de premier ministre, monsieur Abe avait pourtant cherché à resserrer les liens diplomatiques avec les pays voisins et notamment en évitant de provoquer ces derniers par des déclarations ou des actes ambigus à la différence de son prédécesseur, Junichiro Koizumi.

Comment expliquer de telles déclarations ? Il y a plusieurs explications plausibles à celles-ci.
La première est que le fond d'indemnisation des victimes sera démantelé le 31 mars 2007 après 12 ans d'existence. Seulement 360 femmes auront bénéficié de compensations financières (voir l'article en anglais du Japan Times à ce propos).
En outre, des élections se profilent et la cote de monsieur Abe est au plus bas. Il cherche sans doute à s'attirer les voix du camps le plus conservateur de l'opinion publique japonaise.
Mais au delà de cet opportunisme électoral, il faut rappeler que monsieur Abe est le petit-fils d'un ancien Ministre du Commerce et de l'Industrie du gouvernement militaire, Nobusuke Kishi qui fut arrêté comme possible criminel de guerre avant d'être relâché sans jugement par les Américains. Il fut ensuite premier ministre du Japon, respectivement du 25 février 1957 au 12 juin 1958 et du 12 juin 1958 au 19 juillet 1960. On peut donc penser qu'il y a une part d'éducation familiale dans la posture adoptée par Shinzo Abe. Il faut ajouter que monsieur Abe a longtemps été proche d'un groupe de 130 députés du PLD (parti conservateur dominant) dirigé par Nariaki Nakayama et qui s'est arrangé pour ôter toute référence à la prostitution forcée dans la plupart des manuels d'histoires des collèges. En effet, Nariaki Nakayama fut ministre de l'éducation de septembre 2005 à octobre 2006 ! Shinzo Abe, tout comme Nariaki Nakayama, a aussi appelé à l'annulation de la déclaration de Kono (1993) avant d'occuper des postes officiels notamment dans le gouvernement de Junichiro Koizumi.
Mais ce qui me paraît important, c'est qu'au-delà de la personnalité du premier ministre japonais, beaucoup de Japonais partagent cette vision de l'histoire soit par méconnaissance historique soit consciemment. Il n'y a pas eu la même pression morale sur le Japon que celle qu'à connu l'Allemagne. De plus, le fait que ce pays fut le seul à être victime de l'arme atomique a fait que les Japonais se sentent souvent plus victimes que responsables des événements. Il ne faut toutefois pas trop noircir le tableau et voir que la société japonaise a évolué et continue à le faire. Cependant, l'enseignement de l'histoire reste un grand chantier et on peut rappeler que la France a eu (et a encore) beaucoup de mal à accepter ce que furent réellement Vichy ou la guerre d'Algérie. Le fait que le congrès américain puisse voter une résolution voulant obliger le Japon à s'excuser pour avoir instaurer un système de prostitution forcée pendant la guerre ne va peut-être pas aider le travail de mémoire des Japonais. Au lieu d'une ingérence politique, il vaudrait mieux que des historiens étrangers fassent des recherches et publient leurs travaux dans le pays concerné à l'image de ce que Robert Paxton a fait sur Vichy.
 
Hervé Tisserand